17.1.08

Qui vole une gomme, s'envole homme ...


Depuis le temps que je l'ai lu, il fallait bien trouver deux minutes pour vous en parler. Il s'agit de la dernière livraison de Douglas Coupland, ça mérite donc forcément au moins un coup d'œil. A mon sens, plus que cela même, car j'en fais un de mes romans marquants de 2007. On va dire dans le top 5, carrément (je suis ouf, je classe tout, je mets des notes et des posts it sur le frigo). Parce qu'il a beaucoup de bonnes choses ce roman, de belles idées... mais quelques moments creux et quelques couacs aussi... C'est du Coupland pur jus quoi, dans l'esprit, dans la forme, le full package... Enjoy!!!


Douglas Coupland
"The Gum Thief"


Roger, divorcé, la quarantaine bien sonnée, a échoué "agent de rayon" chez Staples (version originale de notre Office Dépôt). Un taf aliénant comme il en existe peu, un problème avec l'alcool, son passé et les relations avec les autres en général. Parmi la foule de paumés et de chair à travail du magasin, on trouve un panel de freaks intéressants. Dont Bethany, jeune fille attachante elle aussi en rupture tranquille: obèse, au look gothique, refusant l'Université, elle se planque chez Staples et s'enivre à déplacer sans fin des présentoirs Crayola. Le kif, quoi...
Et puis un jour, alors que tout se passe le plus normalement du monde dans cet enfer, Bethany tombe sur le carnet de notes personnel de Roger dans la salle de repos. Lorsqu'elle l'ouvre, elle réalise que ce vieux fou alcoolique écrit un roman à la première personne, dont la narratrice n'est autre autre que... Bethany elle même. Et curieusement, il vise assez juste. Bethany va être troublée et lui laisser un message dans ce même carnet. C'est le début d'une correspondance secrète et intime entre ces deux personnages un peu abimés.
Je ne vous raconte pas tout, mais le pitch est là, l'échange épistolaire de 'Roger la bouteille' et 'Bethany contre les vampires', qui va orienter l'écriture de la première nouvelle de Roger, "Glove Pond", vers une création plus ou moins à quatre mains. Et les personnages fictifs autant que leurs auteurs vont doucement évoluer.

Il y a beaucoup de choses à dire de ce roman, y compris de cette histoire dans l'histoire titrée "Glove Pond". De la bombe de balle à mon gout: trauma, alcool, étiquette sociale, déchéance, thérapie, pognon... Y a tout! Coupland depuis Génération X et Microserfs a toujours posé livres sur la pente savonneuse d'une société de consommation aveugle autant qu'absurde. On avait dans le dernier, Jpod le nez dans les rouages de notre société technogiquo-ludique histérique mettant en scène un troupeau de geeks frapadingues... et Douglas Coupland himself. Ici, dans "The Gum Thief", on lâche de le coté un petit peu jeuniste ou hype des étudiants en mal-être, ou autres nerds en marge pour attaquer de plein pied les messieurs tout le monde en fin de course, en lutte avec l'enseigne mastoc du roi dollar. On est dans une ambiance mi-France 3, mi-Delarue. Alors, c'est vrai que Coupland garde un lien avec des questions de djeunes, des questions existentielles d'orientation, de choix de vie et de 'destinés humaines' par l'intermédiaire du personnage de Bethany. Mais en lui collant un sur-maquillage noir, des fringues de cuirs et un bon surpoids, il se démarque nettement de son domaine urbain chic pour aller jouer dans la périphérie banlieue...Et là, chose intéressante, on bascule à Roger, qui se perd lui aussi dans un sacré bourbier, mais qui en plus, doit réussir à se convaincre que c'est déjà complètement foutu et trop tard pour rattraper le coup.

Et, en fait ça m'a plu. Le coté anticipation sociale, c'est aussi le constat triste du jour. Ce n'est pas que les gens qui font du sexe dans leur voiture avant de mourir dans un accident. Voir bien le présent c'est déceler les schémas de demain (paye ta phrase, on dira que j'écris sous l'emprise des docus sur Carlos, ok?). Il était visiblement heureux de ses procédés de mise en abime, un peu fastoches à mon sens, mais bon... Là il va encore plus loin, et avec plus de finesse, en changeant de narrateur toutes les pages, et tissant des connections habiles entre les héros des histoires primaires et secondaires que sont "The Gum thief" et "Glove Pond". Vous rajoutez à cela le caractère excitant d'observer la création d'une œuvre littéraire sous nos yeux ainsi que celui supra jouissif de lire comme un sale voyeur une conversation intime... Et bingo. [La scène des céréales dans la cuisine, un must. Et la navrante rupture amoureuse de Bethany, top]

Bref, alors on pourrait dire que ce n'est pas le meilleur Coupland. Certes. On a le droit. Mais pour moi c'est peut être le plus significatif d'un possible changement d'axe, peut être moins Pahlaniuk et un peu plus Vollemann.

A lire dès que ça sera traduit, ou avant, parce qu'on est des oufs malades...
Ou à visionner ici Douglas Coupland's homepage

9.1.08

La formule de Taylor avec reste intégral

Un an déjà...

"Bonjour, je suis Richard Taylor.

Je suis Richard Taylor et je vais disparaitre.
Disparaitre, oui... et sans un bruit. Simplement, comme ça, m'effacer et ne rien laisser derrière moi. Ou du moins pas grand chose.

Oh, ce n'est pas que je le souhaite, ou que je m'en réjouisse, mais , voyez, c'est maintenant inexorable... Aussi vrai que je m'appelle Richard Taylor, je vais bientôt quitter cette existence. Il est déjà inconcevable de faire autrement.

Certains d'entres, vous se demandent peut être pourquoi ou comment on peut en être réduit à de telles extrémités. Si je vous le racontais, vous ne me croiriez pas. Je vais laisser les autres vous expliquer tout ça... Mais une chose est sure, c'est qu'un retour en arrière est impossible. Pour moi comme pour vous. Car vous êtes tout autant Richard Taylor que moi. On a tous plus ou moins choppé le même modèle de costard lors de la grande distribution. Moi je fais un petit Richard Taylor taille 52.

  • A tous les mercenaires de l'aquarium,
  • A toutes les vistimes du tube à devenir
  • A moi aussi, même si le salut semble mal barré
  • Et à mon père, Richard Taylor Senior par excellence..."



La disparition de Richard Taylor

* Arnaud Cathrine
* Editions Verticales.
* 208 p/ 17,50€

2.1.08

Granta n°100

Avant de passer complètement à 2008, un petit clin d'œil en forme d'hommage à ce qui se fait de meilleur en revue littéraire (ou presque, histoire de ne froisser aucun égo).
C'est le 100ème numéro de Granta et comme souvent, cela semble être un petit bijou. Un bon bout de chemin parcouru, comme on dirait si on écrivait au Parisien. Alors pour ceux qui ne savent pas trop à quoi Granta ressemble, et ce que cette revue à de spécial, un petit flashback est nécessaire.

(Voix off de Philippe Manoeuvre) On est en 1889, à Cambridge, et les étudiants en lettre s'emmerdent en attendant le rock'n roll. Ils lancent entre deux cours de latin un périodique fourre tout, où on retrouve des edito politiques autant que des bouts de nouvelles ou des morceaux choisis de courrier du coeur. Pas de quoi fouetter un chat, me direz vous, fut-il english. Et vous avez tort les petits clous. Parce que même sous cette forme un peu brouillon et austère, on découvrira les premières phrases de futurs noms de la littérature brittone, comme Frayn, Simpson ou Smith. Mais là n'est pas la question, puisque ça, c'était le passé et que Granta va mourir de sa belle mort presque un siècle après, sous l'effet lent mais irrémédiable des acides des années 70. Fatiguée et en fin de vie financière, ça sent méchamment le sapin. Mais, comme dans toutes les bonnes histoires, c'est lorsque tout est foutu et qu'il ne reste pas grand chose d'autre qu'un esprit fantomatique historique, qu'une poignée de gens bizarres se retroussent les manches en disant " Non, c'est pas possible, on peut pas laisser mourir Granta comme ça, à cause de la mollesse de ces beatniks fumeurs de beuh. Steve, rallume les rotatives, on va tout faire péter*". (* ndlr traduction approximative pour cause de reste de champagne). Et c'est donc en 1979, que renait de ces cendres la revue littéraire, mais ce coup ci, avec une ligne éditoriale clairement orientée "nouvelle écriture". En british, ça veut dire "ferme les yeux Mamie, ça va couper la moutarde". Et depuis 79, on peut dire que Granta a sacrément fait du chemin (clin d'œil au Parisien, wesh) puisque de petite revue moribonde en rééducation poussive, elle s'est vite retrouvée première dénicheuse de pépites et a même maintenant après 27 ans de travail acharné, un statut très digne de baromètre autant que de jury du roman anglo-saxon, en Angleterre aussi bien qu'Outre Atlantique. La référence des références. Un Granta award c'est grosso modo la grosse classe quoi. Moi j'y ai lu mes premiers morceaux de Zadie Smith ou de Safran Foer. Alors quoi de plus normal que de voir pour ce numéro anniversaire les noms de Boyd, Amis, Rushdie ou McEwan...

Cela ne vous donne toujours pas vraiment une idée ce qu'il y a dedans. Je laisse la parole à Simon Garfield, du Guardian: What's Granta? I could have given him the usual: about how it was a river in Cambridge, or the upper part of one, and its name spawned a student magazine that began in 1889 and was revived in the late 1970s. I could have said that this magazine became home to some of the best writing in the English language, and was edited for half its life by a man, Bill Buford, described to me as 'a crazy, inspiring, absolutely absurd lunatic'. But instead I said: 'It's a literary magazine, but it looks like a book.'



Pour plus d'info, tout est là:
et là http://www.bestyoungnovelists.com/