15.1.06

Eaux troubles



Dans un monde qui bouge et qu'il ne comprend pas, un inadapté se fraie comme il peut, un passage au travers des choses et des gens. Il fend l'espace et se réfugie où il se sent bien. Isti n'a besoin de rien, ni de personne car c'est trop tard, il n'attendra plus. Il nage. C'est tout. Et sa soeur n'y peut rien.



Ma lecture de cette semaine est hongroise, c'est "Le Nageur" de Zsuzsa Bank.

C'est vachement bien. C'est fort et tendre. C'est le grand bleu, sans la chaussure noire.

La preuve du bon goût, Christine Ferniot a aimé. Voilà qui colle à l'écran (ou pas). C'est pas des plus gai, mais c'est dépaysant et assez fort. Le regard de ces deux enfants qui observent ce monde qui change, comme un prisme distordant la réalité pour en extraire l'essence même. On pourrait dire "folkore" ou "naïveté infantile", mais on ferait une betise alors ne dira rien, puis on se contentera de le lire.

Pour vous donner une idée, voici un petit résumé:

Dans la Hongrie de 1956, un père et ses deux enfants abandonnés par leur mère, passée à l'Ouest, errent d'une région à l'autre, en quête de leur destin. La trame du livre de Zsuzsa Bánk se résume à peu près à cette phrase. Et pourtant, il s'agit d'un livre d'une exceptionnelle richesse et d'une qualité littéraire tout à fait remarquable. Par sa structure, tout d'abord : le roman est composé d'une myriade de brefs paragraphes qui se succèdent comme des plans au cinéma, décrits par la voix légère et poétique de la narratrice, l'aînée des deux enfants. La cohésion de ce roman tient au fil ténu qui relie le père et les deux enfants à la vie : un rapport fascinant et fasciné avec le milieu liquide. Dans l'une des premières scènes du livre, le père, debout dans un fleuve, a le dos à deux tourbillons. Tout en battant des mains, il leur explique comment ces deux vrilles liquides peuvent les entraîner dans les profondeurs sans jamais les laisser remonter. Le gouffre est là d'emblée, il menace autant qu'il séduit, et donne sa tension à tout le récit. L'auteur mène son récit sur un ton léger, naïf, ou plus exactement : très pur. Le discours indirect lui permet de donner à ses phrases un rythme extraordinaire. L'auteur joue très bien avec la poésie des noms hongrois, qui contribue grandement à dépayser le lecteur, à l'emmener dans un univers très lointain. L'errance de cette petite famille a un but évident, dès le début, dès la scène des tourbillons : c'est la mort. Mais elle n'est que la conclusion d'un bouillonnement de vie. Isti, le petit garçon que sa sœur protège contre le monde entier, finit par mourir du milieu où tous deux se sentent le mieux : l'eau.


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