25.9.06

Saving Private Cercas

"Ce n'est pas la recherche du bonheur qui est le grand mobile des actions des hommes, mais le souhait inhérent à chacun de ses actes : Ne pas être celui que je suis."
Et c'est loin d'être faux...
Ce n'est pas de moi (moi je suis loin de cette qualité d'aphorimses limpides, c'est de Fabrice Melquiot, l'auteur de Percolateur Blues, pièce que je vous engage à voir dès que possible aux Déchargeurs... Parce que la mise en scène, les textes, les acteurs et même la musique... bref, c'est assez génial...)
Toujours est-il que pour l’auteur du jour, cela convient plutôt bien : Cercas est l’auteur, et /ou l’habile narrateur de ce roman où se mêlent intelligemment son histoire vécue, son histoire fantasmée et celle imaginée par le lecteur… sa fuite, celle de son héros et la rédemption que jamais z’il ne trouvit… même au bout de la 288ème page.
Tel un Œdipe moderne, chargé du poids du succès qu’il lui sait impossible de ne pas chercher, l’écrivain subira les conséquences d’un destin que tous pourraient croire enviable et heureux. Perdu, le succès, c’est la mort.
Et le Vietnam de Cercas, c’est de devoir vivre après son roman best seller, les Soldats des Salamides



Javier CERCAS
A la Vitesse de la lumière
Actes Sud
Traduit de l' espagnol
par Aleksandar Grujicic
et Elisabeth Beyer
288 pages/21€

l’éditeur raconte…
Dans une université américaine, un écrivain débutant, qui pourrait s'appeler Cerças (j'adore!), se lie d'amitié avec un vétéran du Vietnam anéanti par le poids de son passé.
A son retour en Espagne, le succès de l'un de ses romans le propulse soudain au firmament et, gorgé de suffisance, il ne sait pas voir qu'il a perdu son âme. Un drame se produit auquel, peut-être, il faudrait survivre. Aux portes de l'enfer, qui s'ouvrent béantes sur le mépris de soi et le désir de mort, il unit son destin à celui de l'ami américain. Dans une impunité souveraine, l'un a ressenti la jouissance de tuer sans raison, l'autre a connu le vertige d'abuser de son piètre pouvoir. A la vitesse de la lumière, ils se sont pris pour des dieux pour se retrouver, brisés, dans ce sentiment archaïque et latent qu'est la culpabilité.


C’est plus premier degrés que cela, tout au moins au début : la rencontre d’un étudiant un peu paumé avec un vrai accidenté de la vie, Rodney. On apprend peu à peu, on fait tomber les préjugés du jeune écrivaillon à commencer ceux qu’il possède sur son propre pays. Le premier tiers du livre est très Erasmus des années 80. L’isolement de la petit citée américaine aidant. Puis au fur et à mesure, on s’intéresse à Rodney. On découvre comme lui que le passé ne s’oublie pas, que l’horreur est humaine… Mais toujours et c’est important, sans rien dire. Il ne s’agit que de regards, d’allusions, de discours brefs à mots couverts. La deuxième partie du roman est espagnole, retour sur le présent, puis le cheminement qui a amené Cercas au succès, entre la nostalgie, l’interrogation, le refus. C’est très bien fait, et surtout pas prétentieux ou timoré. Puis la fin du roman, qui vous cueille comme un fruit mûr, où toutes les explications tombent, où tous les personnages font le travail de mise à plat, et dressent les comptes de résultat.

Un très bon roman, justement de par ce jeu de la fiction rendue réelle, de la thérapie qu’on devine semi fantasmée, mais aussi et surtout par le ton, intelligent, et le texte, espagnol pur jus. C’est idiot, mais je n’avais pas lu de roman hispanophone depuis fort longtemps et j’ai redécouvert cette construction de phrase avec plaisir (car la traduction est menée avec assez de talent pour rendre respirable la tonalité originale du livre).
Bref, c’est ma claque de la semaine dernière…

Extraits :

Le temps a passé. Je commençais à oublier Urbana. En revanche, je n'ai pas pu oublier (ou pas tout à fait) les amis d'Urbana, surtout parce que, de temps à autre et sans que j'y sois pour rien, ils continuaient à me donner de leurs nouvelles. Le seul qui était encore à Urbana était John Borgheson, que j'ai revu à plusieurs reprises lors de ses rares visites à Barcelone et dont l'allure professorale me paraissait chaque fois plus vénérable et plus britannique. Felipe Vieri avait terminé ses études à l'université de New York, où il avait réussi à décrocher un poste de professeur, et vivait à Greenwich Village, ayant réalisé son rêve de toujours : être un New-Yorkais jusqu'au bout des ongles. La vie de Lura Burns était plus turbulente et variée : elle avait terminée son doctorat à Urbana, s'était mariée avec un ingénieur informaticien de Hawaii, avait divorcé et, après être passée par différentes universités de la côte ouest, avait atterri à Oklahoma City où elle s'était remariée, cette fois avec un homme d'affaires qui lui avait fait quitter son travail et l'obligeait à vivre à cheval entre Oklahoma et Mexico.
Chapitre : La porte en pierre - Page : 139 -

Mais tandis que je m'approchais de Rodney tout en dépassant l'extrémité d'une baie qui m'empêchait d'avoir une vision complète du gazon, je me suis rendu compte que mon ami n'était pas en train de prendre un bain de soleil mais de contempler un groupe d'enfants qui jouaient devant lui. [... ]. Et alors que je traversais la rue pour aller saluer Rodney, je me suis arrêté. Je ne sais pas avec certitude pourquoi mais je crois que la raison en était que j'avais noté quelque chose de bizarre chez mon ami, quelque chose qui m'avait paru dissuasif ou peut-être de menaçant, comme une certaine rigidité dans sa posture, une tension douloureuse, presque insupportable, dans sa façon d'être assis et de regarder les enfants jouer.
Chapitre : Tous les chemins - Page : 45 -


Je vous engage à lire la critique des Inrocks, qui fait une belle double page et qui pour une fois est tres bien ficellée. Ainsi que celle de Chronic’art, que pour le coup, je vous ai mis là. Achetez ce livre. Ou écrivez moi et je vous l’offre.

la note de Chronic'art d'Eric Fouquet

21.9.06

Jungle Speed


Sans doute le livre qui mérite le plus un petit mot, de ce que j'ai lu jusqu'ici concernant la rentrée 2006. Un roman où beaucoup de très bons ingrédients sont présents, où le verbe qui lie les idées et personnages est très fluide et souvent drôle. Un ouvrage auquel on pourra pourtant reprocher quelques longueurs ou mollesses, si le processus entrepris ne nous a pas conquis. Bref, un vrai bon premier roman, plein de talent, avec quelques idées juste assez de maladresses, pour en apprécier d'avantage la fraîcheur.


Indécision
Benjamin Kunkel
Editions Belfond
360p / 20€
Traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre

L'auteur:
(editeur)Benjamin Kunkel est né en 1972 dans le Colorado. Diplômé en littérature anglaise à Harvard, il a travaillé comme critique littéraire pour The New Yorker, The New York Review of Books et Dissent. Aujourd’hui, il est éditeur de la revue culturelle et politique N + 1. Indécision est son premier roman. Publié en 2005, il est en cours de traduction dans le monde entier.

L'histoire:
On part sur une structure assez classique des romans actuels, dont on peut attendre un navet généreux: Dwight, un garçon intelligent mais complexé, sans le sous mais non loin du cocon familial sécurisant... à qui on sent qu'il va arriver des histoires sentimentales rocambolesques. Presque.
C'est en fait l'histoire d'un 'jeune' trentenaire qui vit à New York, avec quelques colocataires, de mcjobs minables, alors qu'il est surdiplomé, entre loisirs faciles, relations humaines chaotiques, bohème forcée, drogues chics, le tout dans un tissu famillial faussement serein, pour ne pas dire gentillement névrosé. C'est un peu plus lourd et cynique que prévu, mais l'humour est bien au rendez-vous.
De suite, on ressent la patte de Coupland, et de sa génération X, même si la délocalisation du désert à New York choque un peu, et que la reflection des personnages transformée en renoncement ou apathie volontaire bouscule également pas mal... Le pitch tient en l'intervention d'un copain de Dwight en nième 1ere année de fac de médecine qui lui propose en avant première, de tester une pilule miracle sensée pouvoir aider à la décision, chose dont Dwight et ses congénères sont incapables, condamnés qu'ils sont à suivre 'le tube' cher à notre ami l'enfant libre JPV.
Un livre interessant, qui amènera le héros ragaillardi par ces cachets magiques, à prendre l'avion pour l'Equateur, à la rencontre d'une fille qu'il n'a pas vu depuis des années, dans un pays dont il ne connait ni l'histoire ni la langue. Un secouage de puces violent. Effet tourisme et mondialisation garanti. Très Gringoland, lui aussi porté champignons, cactus qui fait rire et mesqual, mais qui gagnait à être bien plus en retrait et portait à l'analyse.
Ici on est exhubérant, on aime le dialogue vif et l'envolée lyrique du cowboy loser sous acide. Mais ce qui rajoute d'intrêt à ce livre, c'est le buzz né autour. Je vous mets en lien la très bonne chronique du Buzz littéraire ainsi que le papier du Monde.
Un livre à lire pour son piquant, mais certainement pas la perle qu'on nous dépeint. (J'aurais du écrire cette note bien plus tôt, juste après l'avoir fini, car plus le temps a passé et plus me sont apparus les manques, les longueurs et les limites...). Le personnage qui m'a beaucoup plu, est sans conteste celui de la soeur de Dwight, jeune psy un peu barge, mais très attachante, que je n'ai pu détacher de Brenda Chenowith, héroïne de Six Feet Under... Bien plus interessante que son frère, autant que Claire dans Generation X est plus riche que Dag... enfin ça, ça n'engage que moi...
A suivre donc ce Mr Kunkel...

18.9.06

Quelques bonnes nouvelles

Pour se détendre avant d'essayer Littel (parce qu'il faut avoir l'air trop con et refuser ce qui semble être un livre moche sous simples suppositions de mochitudes), voici un petit livre bien sympathique. Un recueil de nouvelles, actuelles, vives, et riches en personnages attachants.

L'auteur, David Benioff vous le connaissez sans doute, c'est le romancier créateur de "the 25th hour", adaptée au cinéma par l'homme-qui-continue-à-supporter-les-Knicks-que-ça-en-devient-gênant, Spike Lee. (Un film intelligent et bien prenant). Bref. Un mec qui écrit bien et des choses assez justes, qui ce coup-ci, s'amuse à changer d'univers pour chacune de ses nouvelles. Un fil conducteur toutefois, la tranche d'âge des personnages entre 20 et 30 ans, mâles pour les principaux, comme pour peindre par l'exemple un portrait rapide d'une génération à un instant t... Ou z. A près tout, on l'appelle comme on veut l'instant.
Une bonne surprise de cette rentrée, qui restera sans doute ignorée de tous, et c'est bien dommage...



Le Compteur à Zero
David BENIOFF
Editions Rivages
Traduit par Anne Rabinovich
208p /18.5€


L'auteur:

David Benioff est né en 1970 à New York. En 1999, fraîchement diplômé de l’université de Californie, il sillonne les États-Unis à la recherche d’un endroit propice où se consacrer à l’écriture. Après avoir été portier dans une boîte de nuit, professeur, animateur radio, il s’installe à Los Angeles où il devient journaliste.


L(es) histoire(s):

(piqué chez Rivages)

Dopées à l’humour, souvent nimbées d’une délicieuse pointe d’irréel, les huit nouvelles réunies ici explorent la vie affective de personnages saisis en pleine action. David Benioff flashe, croque, happe : le directeur d’une compagnie de disques débauchant une rock star, un soldat russe inexpérimenté pris au piège entre ses camarades meurtriers et une vieille dame maligne, une star de football déchue évoquant l’amour qu’il n’a pas su retenir, un jeune homme kidnappant les cendres du père de son ex-petite amie, et d’autres jeunes gens en proie à la jubilation, au désespoir ou à l’émerveillement. Autant de portraits, autant d’histoires où apparaît à grande vitesse et en plan rapproché une génération anxieuse et décidée.


En extrait, le début de la première des nouvelles, ou comment tomber amoureux d'une punkette thailandaise du New Jersey...

14.9.06

Elle s'appelait "Fait Divers"


Voici une collection qui me laisse songeur. Je ne sais toujours pas quoi en penser. Vous vous souvenez de David Foenkinos ? Bien sûr ! Comme moi vous avez apprécié le « Potentiel érotique de ma femme », -enfin de la sienne en l’occurrence-, par ce qu’il avait de malicieux, d'intelligent, de drôle même. Parce c’est aussi ça un ‘bon’ roman : un petit moment arraché à Julien Courbet, pendant lequel on n’a peut être pas fichu grand-chose et dont on n’est pas ressorti transfiguré, certes, mais qui ne nous fait pas nous sentir sale ou honteux.
Bref, quitte à passer pour un lecteur plus keufna que La Pléaide, j’y ai même vu plus que ça, une jolie vision du quotidien, une envie d’absurde et un sentiment amoureux qui allait plus loin que le potache et le bon jeu de mots. Du vrai talent quoi.
Le roman suivant, cher David, m’a laissé sur ma faim. Je pensais que la pointe de malice décelée dans le précédent ‘opus’ comme on dit dans le poste, allait déboucher l’impertinence assumée, et que le sarcasme, fut il fin et audacieux, allait laisser place à une immense vague d’amour et de courage. (Je suis assez Walt Disney). Et boum, le coup de la panne. J'ai trouvé un copié collé du précédent, en plus tranché, dans le bon comme dans le moins bon. Un masque, un voile. Alors, après cette fade deuxième mi-temps, en bon supporter, j’attendais avec curiosité le retour du championnat. Et là encore, j’ai été pris à contre-pied. Le marché des transferts a été très actif et c’est désormais sous le maillot de GRASSET que vous évoluez. Dans l’équipe de fous de Jérôme Béglé qu’est cette collection ‘Ceci n’est pas un fait divers’, dont le but est de produire des fictions de qualité, façon romans noirs, autours de faits divers connus et reconnus. -Vous avez certainement entendu parlé du roman sur ce BagBoy, le petit Grégory Villemin-. Réel et imaginaire, rôle de l’écrivain face à l’histoire, responsabilité face aux concernés, y a-t-il un journaliste dans l’avion… ça fait beaucoup de questions. Toujours est-il que vous, David, vous attaquez à l’inexplicable affaire Florence Rey /Audry Maupin. -Un thème casse gueule de champion !-. Et j’ai lu avec attention, mon carton rouge à la poche, prêt à punir le moindre tacle au niveau de la gorge.

Et vous m’avez encore une fois bluffé.


LES COEURS AUTONOMES
DE DAVID FOENKINOS
Editeur : Grasset
170 pages/14.9 Euros

Le livre est bon. Il y est dépeint un couple normal, parce qu’humain. Une génération Couplandienne qui ne vit pas dans le désert près de Texlahoma, mais dont la démarche antimatérialiste est identique, quoi que plus proche d’un milieu populaire et donc sur la corde. Et doucement, de l’amour et de la compromission à cet amour, naît l’inévitable désespérance. C’est très bien tourné, sensible mais pas niaiseux, jamais facile ou dans la justification de quoi que ce soit… Seulement, une distance tout de même, entre l'impulsif et l'intello, le quotidien et le fond de la démarche. Très étonnant, mais je l'imaginais très bien Mister Foenkinos au milieu des personnages. Plus que le drame qui a du le toucher, je crois que c'est l'idée de révolte et son impossible application qui le fascine... ou du moins l'interesse. Toujours zetil que le crescendo est maîtrisé à la perfection, si bien que lorsque l’on referme le livre dont on connaissait par avance la fin, on se demande si on arrivera un jour à appréhender la vérité telle quelle fût.
Ben non, Gaston !
Un roman troublant, vraiment.
'Le plan, c'était d'attacher les flics avec leurs propres menottes. Mais ces deux-là n'ont pas de menottes. Les menottes, c'est le coeur du drame. Plus tard, elle dira que si les flics avaient eu des menottes, rien de tout ce qui va suivre ne serait arrivé.'