13.12.06

J'y peux rien, c'est mon coté punk



La littérature de genre a les avantages de ses inconvénients. Précise et pointue, elle sait être réservée à une poignée de spécialistes et de passionnés. Du même coup, elle paraît vite limitée, confuse ou difficile d'accès au lecteur lambda. Genre ma gueule. Et c'est ainsi le cas pour la littérature dédiée au rock (et même à la musique en général) connue sous le nom de « rock critique ». Comme beaucoup y a encore quelques jours, j'appréciais la valeur d'un ouvrage du genre en la quantité de détails caustiques et autres croustillades alentours, en me lassant assez vite des tonnes de références pour fans absolus et midinette en transe.

Et puis j'ai lu Dark Stuff, de Nick Kent, et j'ai compris bien des choses. J'ai déjà réalisé que je tenais dans les doigts un modèle, une référence littéraire dans le petit monde du rock. Ecrit originellement en 74, puis ressorti en 95, Dark Stuff est aujourd'hui réédité et traduit après lifting, chez Naïve. Ce monument retrace par flashs, des épisodes forts d'une petite dizaine de stars du rocks triée sur le volet, depuis les débuts avec Brian Wilson ou Jerry Lee Lewis, en passant par les bouseux Neil Young ou Johnny Cash, jusqu'aux rebelles d'aujourd'hui comme Cobain ou Eminem. Bref, tout ce que l'histoire a compté de mecs pas d'accord l'ayant dit à grands coups de guitare et rage mystique.

Alors, il est certain que comme tous les Meltzer-Tosches-et autres Bangseries du genre, ça fourmille d'anecdotes et de trucs pas véritablement avouables de ces papys du rock'n roll. Que Brian Wilson, âme tourmentée et néanmoins leader des Beach Boys ait voulu faire suivre Phil Spector lors de séances d'enregistrement pour ne pas se faire voler son « son » de manière satanique, c'est étonnant. Prince qui parle de Larry Graham avec des yeux mouillés puis qui crache sur Puff Daddy, c'est émouvant. Je vous passe sous silence la tirade magique d'Iggy Pop lorsqu'il explique qu'il est la Catherine Deneuve du rock… Des détails drôles et croustillants à souhait, effectivement, vous en aurez pour votre argent. Mais Kent donne beaucoup plus que cela. En fidèle témoin de ces scènes incroyables, il cesse le jeu des questions réponses où pourtant il excelle, faisant s'ouvrir son interlocuteur plus facilement qu'un fruit mûr. Il s'en va, s'efface tranquillement et vous laisse là, tout à coté de lui en vous faisant signe de vous taire, et vous, gamin mi-amusé mi-effrayé, vous ouvrez grand les yeux et les oreilles en priant que la magie ne se dissipe jamais. Vous réalisez soudain que vous êtes tout seul, assis dans le noir d'un studio sur un ampli avec le Floyd, plus sérieux que jamais, ou encore à 3 tabourets d'un Lou Reed défoncé dans un bar louche d'une banlieue sans nom d'Angleterre. Vous êtes là, vous ressentez tout ce qu'a pu éprouver Nick Kent, en privilégié qu'il était.

Et c'est alors que le changement c'est doucement opéré chez moi. Ces stars abîmées, ces rebelles accidentés, sont des personnages que la musique transcende. Ok. Mais sans musique, ils sont encore plus intéressants. Entre l'extrême, l'ego, le mal être, le courage, la passion et la désintégration, ce sont justement ces faces cachées qui valent le coup. Parce que transposées ailleurs en d'autres temps avec d'autres codes et d'autres tabous ou interdits, il en aurait été de même : le rock, comme moteur, pour se chercher jusqu'au plus profond. Et cette découverte de l'intime, du cœur vrai, Kent l'a sentie et a essayé de la retranscrire au plus juste depuis le début. Il a participé à tout (même s'il est trop modeste pour le reconnaître), de Londres à NY en passant par Detroit ou LA. Un livre unique, parce qu'avec un vrai talent d'écriture, une plume là ou d'autres avaient la guitare. Ils sont bien peu à pouvoir évoquer autant de moments forts en l'enrobant d'autant de talent brut. Relisez le passage sur la mort de Sid Vicious, comment la fin est dure et comment la hargne de l'auteur s'efface pour immortaliser le loser dans ce qu'il a de plus magnifique et de plus dégueulasse.

Un livre fort, complet, une référence, et un premier pas dans un monde à part, conduit par quelqu'un qui sait vous guider de l'intérieur pour mieux vous y laisser tout seul.

La claque quoi.

Dash est trop modeste pour l'avouer, mais il était là pour cette interview du grand Nick Kent :

interview téléchargeable de Nick Kent dans l'Opéra des Dieux

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