19.12.06

Mon daron, et ouam et ouam et ouam !!!

Dans mon souci actuel de chercher un quelconque intérêt à l'élection présidentielle prochaine, j'ai vaguement lu les programmes de chacun des candidats. Et aussi triste que cela puisse-t-être, je n'y ai rien trouvé d'émoustillant. Mais alors rien de rien. Quedchi. Je ne parle pas d'idées formidablement punks, qu'on soit clair, mais juste d'un petit soupçon d'idée sympa. Mais le pire n'est pas là. On s'en fiche un peu, des élections. Le pire est, et reste, cette lourde sensation de "déconnection". Celle là-même présente au moment où je tape cette note, lorsque Courbet me saigne le tympan avec les 30 plus grandes arnaques de l'histoire - dont celle terrible du mécanicien poids lourd qui se faisait passer pour un gynéco-. Le sentiment de ne pas me "reconnaître" dans ce qu'on me propose, dans ce qui m'entoure. Loin de me cacher derrière un snobisme facile, ou je ne sais quelle prétention à la con envers mes congénères, que j'affectionne d'ailleurs pour la plupart - même si j'ai encore quelques soucis avec les mécaniciens/gynéco du dimanche -, j'ai soudain eu un flash, en 4 couleurs comme l'autre péroxydé: rares sont les choses en lesquelles je me reconnais. Même plus que cela: les choses/gens/évènement qui me touchent le plus sont liés aux gens paumés, aux vrais losers perdus qui se cherchent. Sans doute parce que je me connais pas terriblement bien moi même. Et c'est pourtant pas faute d'essayer. Le plus étonnant c'est que ma bibliothèque en parle bien mieux que moi.

On passera les livres de la rentrée qui m'ont marqués, j'en ai déjà assez parler entre Kunkel et son Indécision , Cercas et de son roman "A la vitesse de la lumière" ou encore dans un registre encore plus profond, Vollmann. Des mecs un peu perdus, qui naviguent à vue. Je n'ai pas vu le lien tout de suite, mais c'est devant les épisodes de la famille Fischer que j'ai réalisé que le lien avec le paternel était évident.

Alors, que cela soit lié à mon age ou à je ne sais quoi, toujours est-il que la problématique du père m'intéresse. Du père qui part, parce qu'il n'est pas éternel et que je m'en aperçois de plus en plus tous les jours, ou du père qui arrive et ça je crois que c'est le syndrôme combo nièce+pacstameuf+sapin de noel en pitijama...

Mais le plus drôle - ah mais oui, parce que c'est extrement drôle, laisser moi vous expliquer- , c'est que je me donc soudain soit disant aperçu comme ça de cette tendance il y a quelques jours. Alors que bon franchement, en faisant un inventaire des bouquins les plus intéressants à mon sens de cette année, j'aurai pu voir tout de suite que ça me travaillait de puis bien plus longtemps. héhé ouais ma gueule.

Brett, d'abord, qui m'a fait doucement rire avec ses Furby griffus, m'a beaucoup plus foutu les pétoches en évoquant dans les mails fantomes qu'il recevait la nuit, à heure anniversaire de la mort de son vieux, un retour du père plein du jugement de la vie de son fils, revenu de l'au delà des morts pour lui botter le train ... On croit à peu pret en sortir, quand c'est le rapport avec son fils qui prend alors toute la place, pour finir sur cette magnifique vision du Lunar Park...

Même dans les bouquins d'aventure - scientifico- grunge - écolo, il fallait une accroche vraie et qui me prenne aux trippes. Lorsque le petit technicien informaticien d'Angleterre est mis au pied du mur et est obligé de traverser la moitié de la planète pour aller chercher ce paternel responsable de son licenciement, là, je mords à l'hameçon. Quoi de plus fort pour bousculer ce dont on n'est sur mais qui ne nous plait pas trop, que de prendre en pleine face l'évidence qu'on ne sait même pas qui on est et d'où on vient? De quoi booster le héros et le forcer à se remettre en question... sur les traces du père, du souvenir, avec ce mélange de curiosité et de colère, à cause de toute cette perte de temps. Tout ce temps perdu a essayer de ne pas lui ressembler. ça a de la tronche je trouve, ce genre de question. Êt lorqu'on a la réponse, on est alors pret à devenir un mec et emballer la James Bond girl à lunettes de la sécurité. CQFD.

Même lorsqu'on transpose le questionnement chez l'enfant. Qu'on prend un kid à mille dollars et un grand père 'ni oui-ni non' comme héros malheureux d'une quête sans fin, sinon celle de continuer à chercher toujours. Il est malin, Safran Foer. Parce que derrière la recherche de l'affection paternelle, il colle celle de la culture, la notion de nation et dêtre humain même tout simplement. On s'étonne, on s'émerveille et on parcourt avec l'enfant de 8 ans les rue de Brooklyn à la recherche de ce père décédé dans les tours du WWT. Et quand on saute les générations, qu'on comprend que pour le grand père de Dresdes, la problématique était la même, déjà. Se chercher soit avant de trouver son sa femme puis son fils.

Alors oui, Coquillages, j'ai laissé le rock de coté en ces fêtes de fin d'années et je me lis le Voile Noir de Rick Moody, parce que visiblement, il a compris pas mal de choses et qu'il les dit bien mieux que moi.

Joyeux Noel les cyber zamis. Moi je vais manger du pain d'épice avec Papa...

13.12.06

J'y peux rien, c'est mon coté punk



La littérature de genre a les avantages de ses inconvénients. Précise et pointue, elle sait être réservée à une poignée de spécialistes et de passionnés. Du même coup, elle paraît vite limitée, confuse ou difficile d'accès au lecteur lambda. Genre ma gueule. Et c'est ainsi le cas pour la littérature dédiée au rock (et même à la musique en général) connue sous le nom de « rock critique ». Comme beaucoup y a encore quelques jours, j'appréciais la valeur d'un ouvrage du genre en la quantité de détails caustiques et autres croustillades alentours, en me lassant assez vite des tonnes de références pour fans absolus et midinette en transe.

Et puis j'ai lu Dark Stuff, de Nick Kent, et j'ai compris bien des choses. J'ai déjà réalisé que je tenais dans les doigts un modèle, une référence littéraire dans le petit monde du rock. Ecrit originellement en 74, puis ressorti en 95, Dark Stuff est aujourd'hui réédité et traduit après lifting, chez Naïve. Ce monument retrace par flashs, des épisodes forts d'une petite dizaine de stars du rocks triée sur le volet, depuis les débuts avec Brian Wilson ou Jerry Lee Lewis, en passant par les bouseux Neil Young ou Johnny Cash, jusqu'aux rebelles d'aujourd'hui comme Cobain ou Eminem. Bref, tout ce que l'histoire a compté de mecs pas d'accord l'ayant dit à grands coups de guitare et rage mystique.

Alors, il est certain que comme tous les Meltzer-Tosches-et autres Bangseries du genre, ça fourmille d'anecdotes et de trucs pas véritablement avouables de ces papys du rock'n roll. Que Brian Wilson, âme tourmentée et néanmoins leader des Beach Boys ait voulu faire suivre Phil Spector lors de séances d'enregistrement pour ne pas se faire voler son « son » de manière satanique, c'est étonnant. Prince qui parle de Larry Graham avec des yeux mouillés puis qui crache sur Puff Daddy, c'est émouvant. Je vous passe sous silence la tirade magique d'Iggy Pop lorsqu'il explique qu'il est la Catherine Deneuve du rock… Des détails drôles et croustillants à souhait, effectivement, vous en aurez pour votre argent. Mais Kent donne beaucoup plus que cela. En fidèle témoin de ces scènes incroyables, il cesse le jeu des questions réponses où pourtant il excelle, faisant s'ouvrir son interlocuteur plus facilement qu'un fruit mûr. Il s'en va, s'efface tranquillement et vous laisse là, tout à coté de lui en vous faisant signe de vous taire, et vous, gamin mi-amusé mi-effrayé, vous ouvrez grand les yeux et les oreilles en priant que la magie ne se dissipe jamais. Vous réalisez soudain que vous êtes tout seul, assis dans le noir d'un studio sur un ampli avec le Floyd, plus sérieux que jamais, ou encore à 3 tabourets d'un Lou Reed défoncé dans un bar louche d'une banlieue sans nom d'Angleterre. Vous êtes là, vous ressentez tout ce qu'a pu éprouver Nick Kent, en privilégié qu'il était.

Et c'est alors que le changement c'est doucement opéré chez moi. Ces stars abîmées, ces rebelles accidentés, sont des personnages que la musique transcende. Ok. Mais sans musique, ils sont encore plus intéressants. Entre l'extrême, l'ego, le mal être, le courage, la passion et la désintégration, ce sont justement ces faces cachées qui valent le coup. Parce que transposées ailleurs en d'autres temps avec d'autres codes et d'autres tabous ou interdits, il en aurait été de même : le rock, comme moteur, pour se chercher jusqu'au plus profond. Et cette découverte de l'intime, du cœur vrai, Kent l'a sentie et a essayé de la retranscrire au plus juste depuis le début. Il a participé à tout (même s'il est trop modeste pour le reconnaître), de Londres à NY en passant par Detroit ou LA. Un livre unique, parce qu'avec un vrai talent d'écriture, une plume là ou d'autres avaient la guitare. Ils sont bien peu à pouvoir évoquer autant de moments forts en l'enrobant d'autant de talent brut. Relisez le passage sur la mort de Sid Vicious, comment la fin est dure et comment la hargne de l'auteur s'efface pour immortaliser le loser dans ce qu'il a de plus magnifique et de plus dégueulasse.

Un livre fort, complet, une référence, et un premier pas dans un monde à part, conduit par quelqu'un qui sait vous guider de l'intérieur pour mieux vous y laisser tout seul.

La claque quoi.

Dash est trop modeste pour l'avouer, mais il était là pour cette interview du grand Nick Kent :

interview téléchargeable de Nick Kent dans l'Opéra des Dieux

15.11.06

Choisis tes amis pour faire la fête

En pleine rédaction d'un petit moment joli de rock'n roll, je me ballade et tombe là dessus.

Que celui qui n'a jamais fait de moustaches à Mahmood, ou qui n'a jamais eu honte en feuilletant les album photos post-pacs, jette la première pierre à JUSTICE vs SIMIAN des toujours prolifiques ED BANGER RECORDS



la video et le reste des titres dispo ici

15.10.06

Haut les flingues

L'été est définitivement mort et on n'a pas vu naitre l'automne que l'hiver déboule déjà. Alors quitte à se les geler, autant carrément partir vers les pays des glaces et des esquimaux. On revient sur un livre qui a beaucoup plu, "Les Fusils" de William VOLLMANN.

Les Fusils
William T. VOLLMANN
Le Cherche Midi
21€/408 pages

Pour l'histoire, j'en avais déjà parlé
ici

L'auteur: William T. Vollmann est né à Los Angeles en 1959. Il a fait ses études à l'Université Cornell en littérature comparée. En 1982, il a voyagé au coeur de l'Afghanistan avec des commandos islamiques puis a passé quelques années à San Francisco. Il a reçu en 1988 le Whiting Award et le Shiva Naipaul Memorial Award en 1989. « Dès son premier livre traduit, on a su que William T. Vollmann n'était pas un écrivain américain de plus mais une sorte d'Ovni incandescent, de rejeton surdoué issu de la famille des génies sulfureux, les William Burroughs, Thomas Pynchon et autres Hubert Selby Jr. L'homme est fascinant, d'une intelligence rare, insaisissable. » Bruno Corty - Figaro Littéraire Une bibligraphie rapide par ici



1845 : le continent américain a été cartographié à l'est, à l’ouest, au sud. Les explorateurs qui espèrent découvrir le passage du Nord-Ouest ne rencontrent que la glace et la mort. Sir John Franklin tente à son tour l’aventure, avant de disparaître tragiquement avec tout son équipage. Fin du XXe siècle : le capitaine Subzéro, obsédé par la blancheur apocalyptique du Grand Nord et par le destin de Franklin, son alter ego, tente à son tour de percer le secret du monde arctique. Au même moment, William T. Vollmann, désireux d’approcher au plus près l’état d’esprit de ces hommes et ces femmes isolés dans des conditions extrêmes, s’enferme dans une station météo abandonnée au cœur de l’Arctique, au péril de sa vie.
J'en suis à la relecture par petites bouchées apéritives. J'ai fait le tour et, comme j'ai beaucoup aimé, et bien j'ai repris un ticket. Après avoir relu les passages tendres, les paysages d'aquarelle, l'horreur du froid et les dialogues sur la corde sur lesquels s'écrase le silence. J'en arrive à ressentir des frissons lorsque Franklin monte sur le pont, à trouver que les joues de Reepah rosissent de plus en plus quand elle rit, et quand Subzéro propose ses biscuits aux enfants, c'est moi qui époussette les miettes tout en chassant les moustiques.
Mais plus que le mélange des récits, les apparitions fantômatiques des uns et des autres, c'est la montée en puissance de la fatalité, de l'horreur, ce maelstrom qui va venir broyer tous ces hommes et toutes ces envies de liberté dans un décor si grand qu'il réduit tout et tout le monde à l'essence même de ce que nous sommes tous: à savoir pas bezef quand on est contraint à manger nos chaussures.

Il claque ce livre. Il renvoie à ce qui a été -moche-, ce qui est -pas terrible- et donne une idée de ce qui sera - pas brillant-. L'auteur est incroyable: jusque-boutiste, talentueux et poétique à mort. On pense écologie, développement, et droit des armes. On pense aussi aventure façon Agaguk ou Frison Roche. Bref, on ne s'ennuie pas une minute. C'est aéré, riche culturellement et tellement bien écrit que la suite logique est d'aller voir le reste des volets consacrés à la naissance de l'Amérique.
Je vous mets ici un bout d'entretien, où il était question des armes, de leur utilité et du droit constitutionnel lorsqu'il confronté à la responsabilité.
You know, I've had some sad things in my past, and that doesn't mean that I'm not responsible for the decisions that I make. I've been thinking about this a lot because I'm a gun owner, and I'm pretty sure that by the time my little girl is my age, handguns are going to be, in practice, banned in this country. When you look at the issue of guns, there are two visions you can have. One thing you can say is, and this is what I believe, that the second amendment is really wonderful. Unlike in other countries, our country trusts us to have guns. It's in our constitution -- we have the right to defend ourselves against others, or even against our own government if it becomes a bad government, and I think that's amazing and wonderful. If that's the case, if I allowed to have a gun and I ever misuse that gun, then I deserve some serious punishment. If I take my gun and shoot the next door neighbors or rob a bank, I should be put in jail for the rest of my life or maybe killed. That's what I believe.

The other way to look at guns is that we should cut people as much slack as we possibly can and try to be kind, and that if someone makes a mistake, then that person should not be held completely responsible and we should try and help that person and protect him from the consequences of his mistake.








=> des liens:
Un petit morceau d'histoire avec les explorations dans le Nord Canadien ici
La note de Topo avec un entretien de Vollman ici
L'alphabet esquimau ici

6.10.06

Vous reprendrez bien une Wurst ?

Comme tous les ans, les frustrés de la Porte de Versailles peuvent assoiffer leur boulimie de livres grâce aux Teutons. Le plus gros, le plus gras, le plus pointu des rendez-vous commercialo-littéraire est maintenant en direct sur ZDF les enfants, et c’est le Buchmesse de Frankfurt bien sûr!
Pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir le satellite, il reste le streaming pour mater les Schriftsteller sur le canapé bleu…

5.10.06

Un petit prix qui sort du lot

Un prix étonnant, qui avait consacré Mongiève l'an dernier, et qui "cherchant à remettre la littérature au centre par un système tournant, [...] tentera de dissiper une certaine confusion dans l'échelle des valeurs littéraires, et de redonner aux textes de grands écrivains parfois esseulés dans un système ne consacrant que le chiffre, le goût de fruit défendu... Il privilégiera des styles, des écritures, des mots comme on n'en trouve plus que rarement sur le marché des mots."
Le prix Wepler-Fondation La Poste est doté d'une somme de 10 000 euros et d'une somme de 3 000 euros pour la mention spéciale qui récompense "une audace, un excès, une singularité résolument en dehors de toute visée commerciale". Un rêve quoi! En plus, il est composé d'un jury tournant :"des journalistes, des libraires, des lecteurs passionnés venant de tous les horizons, ainsi qu'une détenue de longue peine".

Sélection 2006 :
- Sylvie Aymard, Courir dans les bois sans désemparer, Maurice Nadeau
- Véronique Bergen, Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent, Denoël
- Alain Defossé, Chien de cendres, Panama
- Vincent Delecroix, Ce qui est perdu, Gallimard
- Jean-Hubert Gailliot, Bambi Frankenstein, Editions de l'Olivier
- Pierre Guyotat, Coma, Mercure de France
- Pavel Hak, Trans, Seuil
- Jacques Jouet, l'Amour comme on l'apprend à l'Ecole hôtelière, P.O.L.
- Jean-Louis Magnan, Les îles éparses, Verticales
- Héléna Marienské, Rhésus, P.O.L.
- Michel Schneider, Marilyn dernières séances,Grasset
Cet automne, l'idée de jury tournant paraît alimenter de vives polémiques... Je crains qu'elles ne soient suivies de peu d'effet en raison d'une constellation de privilèges ouvertement assumés auxquels beaucoup ne sont pas près de renoncer. Et on les comprend d'une certaine façon. Mais combien d'auteurs, d'éditeurs sont ainsi délibérément et fatalement écartés de cette fabuleuse dynamique des rentrées littéraires dont les prix sont un des enjeux importants ? Et quelle pénalisation de notre vie intellectuelle ! Et quel discrédit par rapport aux jurys de pays étrangers qui ont des pratiques tout autres et brillantes ! Sur ce plan-là, nous sommes loin d'être l'exception culturelle. Cette idée de jury tournant, minorée parce qu'elle dérange, ne se réduit pourtant pas à un jeu de chaises musicales comme dans ces vieux mariages de province. Elle a une dimension esthétique, politique, éthique. Ayant créé dans un appel d'air le Prix Wepler-Fondation La Poste, dont le fondement est un système de jury tournant, je peux témoigner, après cinq ans, de sa valeur et son excellent fonctionnement. L'engagement désintéressé de lecteurs et de professionnels qui n'envisagent pas une carrière de sociétaire des Lettres - et qui, par miracle, acceptent de laisser leur siège au bout d'un an !- garantit une fraîcheur, une liberté dans la prospection des livres, une sincérité de jugement, et la surprise du résultat. Le renouvellement du jury favorise, d'années en années, un principe évident de liberté et de diversité du goût, et permet d'échapper à la sclérose du groupe qui, sur la durée, comme dans les vieilles familles, finit par attribuer à chacun un rôle.
En remettant la littérature au centre du débat, ce sont de nouveaux livres qui s'imposent, de nouveaux éditeurs, et non pas des jurés peu affranchis d'une logique de réseau.
Ce système de jury tournant n'est finalement qu'une question de volonté, bien sûr. C'est recréer les conditions de l'aventure littéraire. C'est se redonner, une fois encore, la chance de l'Inconnu. Allez Messieurs les jurés, lâchez prise !
Article de Marie-Rose Guarniéri

Contacts :
Librairie des Abbesses
30 rue Yvonne Le Tac
75 018 Paris
01 46 06 84 30

Prix[at]wepler.com

2.10.06

Bang bang, he shot me down

Je viens de commencer. J'ai juste eu le temps de mettre des moufles, de changer les piles de ma torche, de rêver à Poncahontas en après-skis sexy sur un traineau plus de poissons brillants et de replier correctement mon sac de couchage (c'est toujours un supplice que de rouler la chose, en extirper l'air et garder un semblant de plis malgré cette matière glissante et aérée, et qui sent tellement trop moi. Note pour plus tard:"Penser à acheter un sarcophasme, ça a l'air tellement agréable").

Toujours est-il que j'entame la chose. Que je suis déjà ébahi. Que c'est tellement bon que je fais durer. Bref. C'est le pied! (J'ai hésité un What the phoque!!, un peu trop vulgos à mon goût quoi que fort drôle...)

extrait pour toi mec!:

Mais tu n'avais toujours pas retenu ta leçon. Tu pensais savoir t'orienter. Il y avait de la neige partout à présent, une neige légère qui dévoilait la texture caillouteuse du sol comme du poil ras et parsemait la crête de l'autre côté de la rivière d'écaillés blanches. Le ciel était nuageux, bien qu'il y eût encore des taches de bleu, et un vent glacial soufflait. La température était juste au-dessous de zéro. Tu pus traverser la rivière et escalader une des crêtes, et soudain tu te retrouvas sur une plaque ronde et élevée qui s'étendait aussi loin que tu pouvais voir dans toutes les directions, et immédiatement la rivière d'où tu venais et toutes les autres rivières disparurent dans les ondulations indistinctes de cette plaine, et les nuages composèrent une autre plaque, grise au-dessus de ta tête ; mais au sud un bas monticule de gravier se détachait du tapis de gravier, tu marchas dans sa direction et au bout d'un quart d'heure tu l'atteignis. Parce qu'il ne faisait que six mètres de haut (en le voyant pour la première fois tu crus qu'il en faisait trente), tu l'escaladas, et alors soudain tu pus voir des baies d'un bleu suintant au sud et à l'est, des vallées enneigées, des traces de rivière, les falaises bleues d'un cap saupoudré de neige, et au loin des nuages violets ; et ce fut grâce à ce monticule que tu vis ces choses, mais tu étais déconcerté ; ce centre des choses n'était pas ce à quoi tu t'attendais. Rien ne clochait, mais tu étais incapable de te situer. Tout était en dessous de toi et dans la mauvaise direction. Le vent soufflait un air froid qui engourdissait, et un brouillard se mit à sourdre de la plaine et tu vis que si tu restais ici très longtemps tu serais bel et bien perdu, et alors tu pourrais mourir, aussi tu décidas de retourner à ta rivière tant que tu pouvais encore la localiser et tu descendis, dupé, effrayé...

25.9.06

Saving Private Cercas

"Ce n'est pas la recherche du bonheur qui est le grand mobile des actions des hommes, mais le souhait inhérent à chacun de ses actes : Ne pas être celui que je suis."
Et c'est loin d'être faux...
Ce n'est pas de moi (moi je suis loin de cette qualité d'aphorimses limpides, c'est de Fabrice Melquiot, l'auteur de Percolateur Blues, pièce que je vous engage à voir dès que possible aux Déchargeurs... Parce que la mise en scène, les textes, les acteurs et même la musique... bref, c'est assez génial...)
Toujours est-il que pour l’auteur du jour, cela convient plutôt bien : Cercas est l’auteur, et /ou l’habile narrateur de ce roman où se mêlent intelligemment son histoire vécue, son histoire fantasmée et celle imaginée par le lecteur… sa fuite, celle de son héros et la rédemption que jamais z’il ne trouvit… même au bout de la 288ème page.
Tel un Œdipe moderne, chargé du poids du succès qu’il lui sait impossible de ne pas chercher, l’écrivain subira les conséquences d’un destin que tous pourraient croire enviable et heureux. Perdu, le succès, c’est la mort.
Et le Vietnam de Cercas, c’est de devoir vivre après son roman best seller, les Soldats des Salamides



Javier CERCAS
A la Vitesse de la lumière
Actes Sud
Traduit de l' espagnol
par Aleksandar Grujicic
et Elisabeth Beyer
288 pages/21€

l’éditeur raconte…
Dans une université américaine, un écrivain débutant, qui pourrait s'appeler Cerças (j'adore!), se lie d'amitié avec un vétéran du Vietnam anéanti par le poids de son passé.
A son retour en Espagne, le succès de l'un de ses romans le propulse soudain au firmament et, gorgé de suffisance, il ne sait pas voir qu'il a perdu son âme. Un drame se produit auquel, peut-être, il faudrait survivre. Aux portes de l'enfer, qui s'ouvrent béantes sur le mépris de soi et le désir de mort, il unit son destin à celui de l'ami américain. Dans une impunité souveraine, l'un a ressenti la jouissance de tuer sans raison, l'autre a connu le vertige d'abuser de son piètre pouvoir. A la vitesse de la lumière, ils se sont pris pour des dieux pour se retrouver, brisés, dans ce sentiment archaïque et latent qu'est la culpabilité.


C’est plus premier degrés que cela, tout au moins au début : la rencontre d’un étudiant un peu paumé avec un vrai accidenté de la vie, Rodney. On apprend peu à peu, on fait tomber les préjugés du jeune écrivaillon à commencer ceux qu’il possède sur son propre pays. Le premier tiers du livre est très Erasmus des années 80. L’isolement de la petit citée américaine aidant. Puis au fur et à mesure, on s’intéresse à Rodney. On découvre comme lui que le passé ne s’oublie pas, que l’horreur est humaine… Mais toujours et c’est important, sans rien dire. Il ne s’agit que de regards, d’allusions, de discours brefs à mots couverts. La deuxième partie du roman est espagnole, retour sur le présent, puis le cheminement qui a amené Cercas au succès, entre la nostalgie, l’interrogation, le refus. C’est très bien fait, et surtout pas prétentieux ou timoré. Puis la fin du roman, qui vous cueille comme un fruit mûr, où toutes les explications tombent, où tous les personnages font le travail de mise à plat, et dressent les comptes de résultat.

Un très bon roman, justement de par ce jeu de la fiction rendue réelle, de la thérapie qu’on devine semi fantasmée, mais aussi et surtout par le ton, intelligent, et le texte, espagnol pur jus. C’est idiot, mais je n’avais pas lu de roman hispanophone depuis fort longtemps et j’ai redécouvert cette construction de phrase avec plaisir (car la traduction est menée avec assez de talent pour rendre respirable la tonalité originale du livre).
Bref, c’est ma claque de la semaine dernière…

Extraits :

Le temps a passé. Je commençais à oublier Urbana. En revanche, je n'ai pas pu oublier (ou pas tout à fait) les amis d'Urbana, surtout parce que, de temps à autre et sans que j'y sois pour rien, ils continuaient à me donner de leurs nouvelles. Le seul qui était encore à Urbana était John Borgheson, que j'ai revu à plusieurs reprises lors de ses rares visites à Barcelone et dont l'allure professorale me paraissait chaque fois plus vénérable et plus britannique. Felipe Vieri avait terminé ses études à l'université de New York, où il avait réussi à décrocher un poste de professeur, et vivait à Greenwich Village, ayant réalisé son rêve de toujours : être un New-Yorkais jusqu'au bout des ongles. La vie de Lura Burns était plus turbulente et variée : elle avait terminée son doctorat à Urbana, s'était mariée avec un ingénieur informaticien de Hawaii, avait divorcé et, après être passée par différentes universités de la côte ouest, avait atterri à Oklahoma City où elle s'était remariée, cette fois avec un homme d'affaires qui lui avait fait quitter son travail et l'obligeait à vivre à cheval entre Oklahoma et Mexico.
Chapitre : La porte en pierre - Page : 139 -

Mais tandis que je m'approchais de Rodney tout en dépassant l'extrémité d'une baie qui m'empêchait d'avoir une vision complète du gazon, je me suis rendu compte que mon ami n'était pas en train de prendre un bain de soleil mais de contempler un groupe d'enfants qui jouaient devant lui. [... ]. Et alors que je traversais la rue pour aller saluer Rodney, je me suis arrêté. Je ne sais pas avec certitude pourquoi mais je crois que la raison en était que j'avais noté quelque chose de bizarre chez mon ami, quelque chose qui m'avait paru dissuasif ou peut-être de menaçant, comme une certaine rigidité dans sa posture, une tension douloureuse, presque insupportable, dans sa façon d'être assis et de regarder les enfants jouer.
Chapitre : Tous les chemins - Page : 45 -


Je vous engage à lire la critique des Inrocks, qui fait une belle double page et qui pour une fois est tres bien ficellée. Ainsi que celle de Chronic’art, que pour le coup, je vous ai mis là. Achetez ce livre. Ou écrivez moi et je vous l’offre.

la note de Chronic'art d'Eric Fouquet

21.9.06

Jungle Speed


Sans doute le livre qui mérite le plus un petit mot, de ce que j'ai lu jusqu'ici concernant la rentrée 2006. Un roman où beaucoup de très bons ingrédients sont présents, où le verbe qui lie les idées et personnages est très fluide et souvent drôle. Un ouvrage auquel on pourra pourtant reprocher quelques longueurs ou mollesses, si le processus entrepris ne nous a pas conquis. Bref, un vrai bon premier roman, plein de talent, avec quelques idées juste assez de maladresses, pour en apprécier d'avantage la fraîcheur.


Indécision
Benjamin Kunkel
Editions Belfond
360p / 20€
Traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre

L'auteur:
(editeur)Benjamin Kunkel est né en 1972 dans le Colorado. Diplômé en littérature anglaise à Harvard, il a travaillé comme critique littéraire pour The New Yorker, The New York Review of Books et Dissent. Aujourd’hui, il est éditeur de la revue culturelle et politique N + 1. Indécision est son premier roman. Publié en 2005, il est en cours de traduction dans le monde entier.

L'histoire:
On part sur une structure assez classique des romans actuels, dont on peut attendre un navet généreux: Dwight, un garçon intelligent mais complexé, sans le sous mais non loin du cocon familial sécurisant... à qui on sent qu'il va arriver des histoires sentimentales rocambolesques. Presque.
C'est en fait l'histoire d'un 'jeune' trentenaire qui vit à New York, avec quelques colocataires, de mcjobs minables, alors qu'il est surdiplomé, entre loisirs faciles, relations humaines chaotiques, bohème forcée, drogues chics, le tout dans un tissu famillial faussement serein, pour ne pas dire gentillement névrosé. C'est un peu plus lourd et cynique que prévu, mais l'humour est bien au rendez-vous.
De suite, on ressent la patte de Coupland, et de sa génération X, même si la délocalisation du désert à New York choque un peu, et que la reflection des personnages transformée en renoncement ou apathie volontaire bouscule également pas mal... Le pitch tient en l'intervention d'un copain de Dwight en nième 1ere année de fac de médecine qui lui propose en avant première, de tester une pilule miracle sensée pouvoir aider à la décision, chose dont Dwight et ses congénères sont incapables, condamnés qu'ils sont à suivre 'le tube' cher à notre ami l'enfant libre JPV.
Un livre interessant, qui amènera le héros ragaillardi par ces cachets magiques, à prendre l'avion pour l'Equateur, à la rencontre d'une fille qu'il n'a pas vu depuis des années, dans un pays dont il ne connait ni l'histoire ni la langue. Un secouage de puces violent. Effet tourisme et mondialisation garanti. Très Gringoland, lui aussi porté champignons, cactus qui fait rire et mesqual, mais qui gagnait à être bien plus en retrait et portait à l'analyse.
Ici on est exhubérant, on aime le dialogue vif et l'envolée lyrique du cowboy loser sous acide. Mais ce qui rajoute d'intrêt à ce livre, c'est le buzz né autour. Je vous mets en lien la très bonne chronique du Buzz littéraire ainsi que le papier du Monde.
Un livre à lire pour son piquant, mais certainement pas la perle qu'on nous dépeint. (J'aurais du écrire cette note bien plus tôt, juste après l'avoir fini, car plus le temps a passé et plus me sont apparus les manques, les longueurs et les limites...). Le personnage qui m'a beaucoup plu, est sans conteste celui de la soeur de Dwight, jeune psy un peu barge, mais très attachante, que je n'ai pu détacher de Brenda Chenowith, héroïne de Six Feet Under... Bien plus interessante que son frère, autant que Claire dans Generation X est plus riche que Dag... enfin ça, ça n'engage que moi...
A suivre donc ce Mr Kunkel...

18.9.06

Quelques bonnes nouvelles

Pour se détendre avant d'essayer Littel (parce qu'il faut avoir l'air trop con et refuser ce qui semble être un livre moche sous simples suppositions de mochitudes), voici un petit livre bien sympathique. Un recueil de nouvelles, actuelles, vives, et riches en personnages attachants.

L'auteur, David Benioff vous le connaissez sans doute, c'est le romancier créateur de "the 25th hour", adaptée au cinéma par l'homme-qui-continue-à-supporter-les-Knicks-que-ça-en-devient-gênant, Spike Lee. (Un film intelligent et bien prenant). Bref. Un mec qui écrit bien et des choses assez justes, qui ce coup-ci, s'amuse à changer d'univers pour chacune de ses nouvelles. Un fil conducteur toutefois, la tranche d'âge des personnages entre 20 et 30 ans, mâles pour les principaux, comme pour peindre par l'exemple un portrait rapide d'une génération à un instant t... Ou z. A près tout, on l'appelle comme on veut l'instant.
Une bonne surprise de cette rentrée, qui restera sans doute ignorée de tous, et c'est bien dommage...



Le Compteur à Zero
David BENIOFF
Editions Rivages
Traduit par Anne Rabinovich
208p /18.5€


L'auteur:

David Benioff est né en 1970 à New York. En 1999, fraîchement diplômé de l’université de Californie, il sillonne les États-Unis à la recherche d’un endroit propice où se consacrer à l’écriture. Après avoir été portier dans une boîte de nuit, professeur, animateur radio, il s’installe à Los Angeles où il devient journaliste.


L(es) histoire(s):

(piqué chez Rivages)

Dopées à l’humour, souvent nimbées d’une délicieuse pointe d’irréel, les huit nouvelles réunies ici explorent la vie affective de personnages saisis en pleine action. David Benioff flashe, croque, happe : le directeur d’une compagnie de disques débauchant une rock star, un soldat russe inexpérimenté pris au piège entre ses camarades meurtriers et une vieille dame maligne, une star de football déchue évoquant l’amour qu’il n’a pas su retenir, un jeune homme kidnappant les cendres du père de son ex-petite amie, et d’autres jeunes gens en proie à la jubilation, au désespoir ou à l’émerveillement. Autant de portraits, autant d’histoires où apparaît à grande vitesse et en plan rapproché une génération anxieuse et décidée.


En extrait, le début de la première des nouvelles, ou comment tomber amoureux d'une punkette thailandaise du New Jersey...

14.9.06

Elle s'appelait "Fait Divers"


Voici une collection qui me laisse songeur. Je ne sais toujours pas quoi en penser. Vous vous souvenez de David Foenkinos ? Bien sûr ! Comme moi vous avez apprécié le « Potentiel érotique de ma femme », -enfin de la sienne en l’occurrence-, par ce qu’il avait de malicieux, d'intelligent, de drôle même. Parce c’est aussi ça un ‘bon’ roman : un petit moment arraché à Julien Courbet, pendant lequel on n’a peut être pas fichu grand-chose et dont on n’est pas ressorti transfiguré, certes, mais qui ne nous fait pas nous sentir sale ou honteux.
Bref, quitte à passer pour un lecteur plus keufna que La Pléaide, j’y ai même vu plus que ça, une jolie vision du quotidien, une envie d’absurde et un sentiment amoureux qui allait plus loin que le potache et le bon jeu de mots. Du vrai talent quoi.
Le roman suivant, cher David, m’a laissé sur ma faim. Je pensais que la pointe de malice décelée dans le précédent ‘opus’ comme on dit dans le poste, allait déboucher l’impertinence assumée, et que le sarcasme, fut il fin et audacieux, allait laisser place à une immense vague d’amour et de courage. (Je suis assez Walt Disney). Et boum, le coup de la panne. J'ai trouvé un copié collé du précédent, en plus tranché, dans le bon comme dans le moins bon. Un masque, un voile. Alors, après cette fade deuxième mi-temps, en bon supporter, j’attendais avec curiosité le retour du championnat. Et là encore, j’ai été pris à contre-pied. Le marché des transferts a été très actif et c’est désormais sous le maillot de GRASSET que vous évoluez. Dans l’équipe de fous de Jérôme Béglé qu’est cette collection ‘Ceci n’est pas un fait divers’, dont le but est de produire des fictions de qualité, façon romans noirs, autours de faits divers connus et reconnus. -Vous avez certainement entendu parlé du roman sur ce BagBoy, le petit Grégory Villemin-. Réel et imaginaire, rôle de l’écrivain face à l’histoire, responsabilité face aux concernés, y a-t-il un journaliste dans l’avion… ça fait beaucoup de questions. Toujours est-il que vous, David, vous attaquez à l’inexplicable affaire Florence Rey /Audry Maupin. -Un thème casse gueule de champion !-. Et j’ai lu avec attention, mon carton rouge à la poche, prêt à punir le moindre tacle au niveau de la gorge.

Et vous m’avez encore une fois bluffé.


LES COEURS AUTONOMES
DE DAVID FOENKINOS
Editeur : Grasset
170 pages/14.9 Euros

Le livre est bon. Il y est dépeint un couple normal, parce qu’humain. Une génération Couplandienne qui ne vit pas dans le désert près de Texlahoma, mais dont la démarche antimatérialiste est identique, quoi que plus proche d’un milieu populaire et donc sur la corde. Et doucement, de l’amour et de la compromission à cet amour, naît l’inévitable désespérance. C’est très bien tourné, sensible mais pas niaiseux, jamais facile ou dans la justification de quoi que ce soit… Seulement, une distance tout de même, entre l'impulsif et l'intello, le quotidien et le fond de la démarche. Très étonnant, mais je l'imaginais très bien Mister Foenkinos au milieu des personnages. Plus que le drame qui a du le toucher, je crois que c'est l'idée de révolte et son impossible application qui le fascine... ou du moins l'interesse. Toujours zetil que le crescendo est maîtrisé à la perfection, si bien que lorsque l’on referme le livre dont on connaissait par avance la fin, on se demande si on arrivera un jour à appréhender la vérité telle quelle fût.
Ben non, Gaston !
Un roman troublant, vraiment.
'Le plan, c'était d'attacher les flics avec leurs propres menottes. Mais ces deux-là n'ont pas de menottes. Les menottes, c'est le coeur du drame. Plus tard, elle dira que si les flics avaient eu des menottes, rien de tout ce qui va suivre ne serait arrivé.'

23.8.06

Rentrée littéraire sociale? Inch' Allah...

On annonce une rentrée littéraire "Le retour du social" avec dans les "[...] premières lectures, premières tendances : les jeunes romanciers semblent revenir à la fiction pure et puisent leur inspiration dans le malaise social : chômage, violence, crise des banlieues... Sans oublier l'univers des paillettes et de la télévision." -Livres Hebdo.

Moi ça me fait bien marrer. Faire du neuf avec du vieux. La crise des banlieues, il n'en a jamais été question. Personne n'en parle autrement que pour se faire peur. Aucun regard franc, intérieur ou même responsable. Ou alors on se roule dans la bon dieuserie, mêlant pitié et walt disney...
L'article de février dernier d'Alain Mabanckou m'avait déjà conforté dans l'idée. Depuis, j'ai effectivement lu Faïza Guene... et ça vaut le coup, c'est fin, drôle et surtout impressionnant de talent. On va éviter de tomber dans le cliché de l'autofiction, en lui reconnaissant une force incroyable de volonté pour sortir de sa banlieue à la force de la plume. Les gens sont perf parfois...


KIFFE KIFFE DEMAIN
Faïza GUÈNE

Editeur : Hachette Littératures
193 pages/ 16 Euros
Kiffe kiffe demain est le roman autobiographique de Doria (et pas Faïza, bande de nases), une lycéenne de 15 ans, vivant seule avec sa mère dans une cité de la banlieue parisienne à Livry-Gargan. Il y a quelques mois, son père est rentré au Maroc, l'abandonnant avec sa mère, femme de ménage dans un Formule 1 de Bagnolet.

Kiffe kiffe demain pourrait être un livre désespéré. En relatant un an de la vie de Doria, Faïza Guène dresse au contraire une galerie de portraits pleine d'humour et de poésie.

Il y a la mère de Doria, tout d'abord, véritable soleil dans sa vie. Et puis son pote Hamoudi, ex-taulard, prince de la débrouille et poète à ses heures, avec qui Doria discute des heures dans le hall de son immeuble.(C'est surtout un mec qui fume trop dans le hall 32). Mme Burlaud, sa psychologue, " qui met des porte-jarretelles et sent le parapoux mais qui est quand même gentille ". Les assistantes sociales envoyées par la mairie et qui défilent à la maison toujours parfaitement manucurées. Nabil, le nul qui lui donne des cours particuliers et lui vole son premier baiser. Ou encore Aziz, l'épicier escroc à la petite semaine du Sidi Mohamed Market avec qui Doria voulait caser sa mère... mais qui s'est marié sans les inviter. " De toutes façons, maman et moi, on s'en fout de pas faire partie de la jet set ", se rassure l'héroïne.

Le ton du livre est là, entre humour désespéré et formidables élans de fraîcheur. Doria navigue au milieu de ces personnages comme elle navigue dans sa vie : avec l'innocence de ses 15 ans et l'assurance d'une fille trop intelligente pour ne pas infléchir son destin.
Un extrait pour la route:

"C' est lundi et comme tous les lundis, je suis allée chez Mme Burlaud. Mme Burlaud, elle est vieille, elle est moche et elle sent le Parapoux. Elle est inoffensive mais quelquefois, elle m'inquiète vraiment. Aujourd'hui, elle m'a sorti de son tiroir du bas une collection d'images bizarres, des grosses taches qui ressemblaient à du vomi séché. Elle m'a demandé à quoi ça me faisait penser. Je lui ai dit et elle m'a fixée de ses yeux globuleux en remuant la tête comme les petits chiens mécaniques à l'arrière des voitures. C'est le lycée qui m'a envoyée chez elle. Les profs, entre deux grèves, se sont dit que j'avais besoin de voir quelqu'un parce qu'ils me trouvaient renfermée... Peut-être qu'ils ont raison, je m'en fous, j'y vais, c'est remboursé par la Sécu. "

Et cette phrase là parce que j'aime bien.

"Le destin, c'est la misère parce que t'y peux rien. Ca veut dire que quoi que tu fasses, tu te feras toujours couiller."

Enfin vous dire qu'est sorti aujourd'hui DU RÊVE POUR LES OUFS le dernier roman de Faïza Guene, à lire.


22.8.06

Balades en forets, nazisme et ponctuation

Un peu fourbus, nous sommes enfin rentrés de vacances. Fatigués autant que lassés, avec l'envie déjà d'une belle rentrée. Mais avant de partir tout zazimuts -car on est souvent complètement zazimut- sur ce qui nous attend, on se doit de faire le point sur les lectures de l'été. C'est en général assez pauvre, ce que l'on peut lire la nuque cassée dans le train, ou les yeux mis clos par trop de soleil, sur le sable breton. Généralement malmenée ces lectures ne sont pas de grand rendez-vous avec un auteur. Difficile en effet, les fesses sur un sac à dos dans une gare où l'acier des freins emplit l'air humide à odeur de sandwich et de cigarettes. En été, il en est de la littérature comme de la cuisine: on allège, on met de la couleur et souvent c'est que de la flotte. Et ouais.
Puis on vous colle dans les doigts Arno Schmidt, comme ça, parce qu'on vous veut du bien. Et là c'est la claque. Parce que c'est vachement bien.


"Scènes de la vie d'un faune"

Auteur Arno Schmidt
Editeur Christian Bourgois
"Arno Schmidt n'a pas en France la place qu'il mérite. Aussi singulier, inventif, hors normes, solitaire et tête de cochon que lui, on trouve peu. Cet Allemand né en 1914 et mort en 1979 a connu au début des années 60 le bonheur de la traduction. Hélas trop irrespectueux, trop novateur pour l'esprit français d'alors, Scènes de la vie d'un faune et La république des savants ne firent guère de ronds dans une eau stagnante. Est-ce aujourd'hui l'heure de le reconnaître parmi les plus grands? Après maintes tracasseries juridiques qui bloquèrent toute initiative pendant des années, les éditions Bourgois purent enfin envisager un programme cohérent de publication avec la traduction des Enfants de Nobodaddy dont Scènes de la vie d'un faune est le premier volet.
Ce roman-journal est de ces mythautobiographies dont il vaut mieux garder le manuscrit hors de portée de tout régime, de tout pouvoir, qu'il soit nazi ou domestique, de guerre ou d'après-guerre, d'Est ou d'Ouest. Par courts fragments successifs, se déroule une personnelle chronique des années de guerre (1939 et 1944). Comme Jean-Paul Richter qui "aimait mieux sauter que marcher", il passe avec une fantaisie débridée, une verve langagière jamais en défaut, du coq à l'âne, de ses affinités littéraires à la satire, pour notre plus grand plaisir. "Ma vie n'est pas un continuum", disait Arno Schmidt. Elle n'est pas non plus unitaire. Sous le masque du fonctionnaire obscur et zélé, le narrateur louvoie habilement pour rester en lui-même indépendant malgré l'oppression des consciences assénée par le Troisième Reich. Retrouvant dans les Landes de Lunebourg la hutte d'un déserteur français des temps napoléoniens, il mène une vie parallèle d'ermite, un peu comme les personnages de Jünger dans Eumeswill et Le recours aux forêts, mais avec plus de simplicité et d'humour. Ou encore quelque chose comme la devise d'Arno Schmidt: "Liberté et insolence". En allemand il n'y a qu'une lettre de différence: "Freiheit und Frecheit."
L'amateur passionné (car comment lire autrement Arno Schmidt) lira trois courts récits récemment publiés par la revue La main de singe, puis une Biographie conjecturale par Dominique Poncet, à paraître aux éditions Comp'act, premier livre français sur cet irréductible indépendant que fut Arno Schmidt."
Thierry Guinhut / La République des Lettres


J'ai beaucoup aimé l'humour piquant, la révolte contre tout, la passion, l'insolence, disons et plus même que les paysages, que les personnages, je crois que c'est l'époque, l'odeur et la couleur de cette période particulière que j'ai adorées. Reste à vous parler du jeu avec les mots, de la ponctuation comme mise en scène visuelle. S'il est vrai que c'est au départ quelques peu déroutant, et que la lecture des premières pages est assez lente, une fois le code intégré, tout devient beaucoup plus rapide, plus vif et surtout visuel. « Il devrait y avoir des livres avec des indications de lecture dans la marge – (on trouve bien dans les partitions des choses comme “allegro” et “furioso” !) – du style : “A cet endroit, prière de fouir dans un tas de feuilles mortes, mouillées et mordorées.” “Emietter du bout des lèvres un petit morceau d’écorce.” “A ne lire que par temps de pluie, appuyé contre un arbre, au bord d’un ruisseau.” “Les vêtements trempés après avoir essuyé une tempête.” “Sur les lieux de mauvais souvenirs.” “En traversant à gué sur de beaux galets.” “Ici, allumer une bougie.” “A lire d’une voix de stentor !” » Ceci est tiré de Pharos ou du pouvoir des poètes, cette scène primitive qui fonde l’oeuvre d’Arno Schmidt, un texte qu’on suppose écrit vers 1943. C'est ainsi que le texte de Schmidt est truffé de signes de ponctuation qui modulent le rythme des phrases. "Le lecteur est invité à voir dans le double point : un visage ouvertement interrogatif, dans le point d'interrogation qui suit, ?, la contorsion d'un corps, dans un : ".":"!" une réponse banalement laconique, suivie d'un hausement d'épaules de l'interlocuteur. Quant à la prenthèse, on est prié d'y reconnaitre la main creuse stylisée derrière laquelle l'auteur chuchote quelque confidence."

J'ai tellement aimé que je termine actuellement On a marché sur la Lande.
J'en reparle très prochainement, avec plus de détails.


Liens:
Arno Schmidt Lecteurs et lectures
GASL - Gesellschaft der Arno-Schmidt-Leser

15.8.06

Le bon, la brute, le truand et Princesse Sarah

Je vais avoir du mal à passer derrière, mon cher Coquillage. Quel sacré machin que ce Mr Turmel. J'ai appris des choses et vous aussi très certainement chers audio-lecteurs.
Donc pour passer discrètement à autre chose, propulsés que nous somme par le souffle de l'Opéra des Dieux, je vais éviter de me ridiculiser en étalant mon inculture crasse et mon manque de goût certifié avec une petite devinette d'actualité.
(roulement de tambour)

La rentrée, les prix et le magot qui va avec. On part en Angleterre, décor de western où les spaghettis sont remplacés par un aigre after eight dégueux. Et où hélas il n'en existe qu'un, de magot... pas comme à Saint Germain (celle là c'est un retour d'acidité de Big Mac, j'y suis pour rien).
Le butin se monte à 50000£, et sera distribué façon 'chacun ma gueule' à un seul et unique gagnant sur les 19 compétiteurs cette année du célèbre Booker Prize... Rien de trop nouveau si ce n'est cette fameuse liste qui ce coup-ci, est quand même bien longue, et qu'elle compte quelques fines gachettes de la littérature anglophone assimilables à des poids lourds connus et reconnus. Et que donc, va y avoir du sang, my dear.
  • Le bon: David Mitchell, auteur que j'affectionne, créateur des "Ecrits fantomes" chez nous et de "l'Atlas des Nuages", et cette année de "Black Swan Green" outre-Manche. Prolifique, talentueux et plutôt bon gosse.
  • La brute: Irvine Welsh, auteur lui aussi symapthique, un brin plus charnu, rendu célèbre entre autres, pour "Trainspotting", et qui sort fin août "The Bedroom Secrets Of The Master Chefs". Il mord, il est sauvage. En plus il picole, laisse tomber la brute que c'est.
  • Le truand, vu le titre de son roman: Peter Carey, qui nous livre son "Theft: A Love Story" et qui lui aussi a ses chances, comme tous les truands, il sait placer ses pions
  • Et enfin, la Princesse Sarah, gentille, sympa, et joliment anachronisée ici dans ce western violent. Elle a le cheveux court et blond, et sourit toujours face au monde moche dans lequel elle vit, Sarah Waters et son "Night Watch" dans lequel seront en scène non plus des lesbiennes glamour sous l'aire Vicorienne [dommage], mais des infirmières courageuses dans un Londres sous les bombes nazi (on met un 'es' à 'nazi'?)...

Là où sa cogne, c'est que la brute s'est déjà fait descendre. Bam-bam refroidi! Il a giclé de la liste, trop misogyne et trop cru. Le bon quant à lui, a l'appui de pas mal de monde dans l'édition et chez les critiques et est à 5/1 chez les parieurs. Quant à Sarah, c'est le coeur des lecteurs qui voterait pour elle, l'image de gentille meuf, tout ça. Suspense entier... Que fait le truand? Qui sont les 16 autres auteurs de cette fichue liste? Toutes les réponses sont ...


15.6.06

The end of the beans - Top 10

Pour faire une sortie qui a de la gueule, une récap personnelle de notre histoire avec les livres, les disques et les films. Une sorte de panthéon définitif, de naissance de gout et d'humeur du moment, bref, un top 10 écrit à quatre mains.
Attention, on a aimé et on continue...

Booklist, où comment éviter les grilles de sudoku dans le RER



Coquillage's list
(le premier roman que j'ai réellement lu de moi-même.)
Nick Cave
Et l'Ane vit l'Ange
(Serpent à Plumes)
7 euros
(avec celui-ci, je franchissais quelquechose ; irréversible.)
Lydia Lunch
Paradoxia
(La Musardine)
9 euros
(le roman qui a soldé mon adolescence)
Michel Houellebecq
Les Particules Elémentaires
(J'ai Lu)
6,50 euros
(la classe ultime.)
Vladimir Vladimirovich Nabokov
Ada ou l'Ardeur
(Gallimard)
9,50 euros
(entre fantasmes et nostalgie d'un passage de ma vie. )
Bret E. Ellis
Les Lois de l'Attraction
(Robert Laffont)
9 euros

Dash's list

(le premier vrai livre offert)
Mikhaïl Boulgakov
Le Maître et Marguerite

Pocket
6,50 euros
(frustration de ne pas l'avoir écrit)
Philippe Jeanada
Le Chameau sauvage

Julliard
22 euros
(le symbole de mon expat')
Jonathan Safran Foer
Tout est illuminé

L'Olivier
22 euros
(ma vision de la poésie amoureuse)
Haruki Murakami
Kafka sur le rivage

Belfond
23 euros
(celui que j'ai toujours moi)
Andreï Guelassimov
La soif

Actes Sud
14 euros


Les morceaux qui passent en boucle sur nos platines (Coquillage à gauche, Dash à droite)

(j'achète les yeux fermés) Tricatel, Tigersushi, Ninja Tune ou Soul Jazz
Au Coeur de Tricatel (1999)
Bertrand - Aux Cyclades électroniques


Tout David Bowie entre 69 et 80 : rien que ça.

David Bowie
"Heroes"

RCA Records (1977)


(c'était pas gagné de me faire aimer ce genre de son en 2001)
The Strokes
Is this it "Last Nite"

RCA 2001


(en quelque sorte le best-of de la musique d'aujourd'hui.)

Figurines
"Skeleton"
The Wonder


(le dernier truc qui m'a surpris)
l'électro-hiphop-folk de Fog et Why?
Why? "Elephant eyelash"
Rubber traits

Anticon

(Tout les artistes du Limonaire: Anselme, Flesch, Leprest ou Dubois)
Pour la vanne, Jean Dubois "Celà dit"
"Je commence lundi"


(pour la rage, la moustache)
Sage Francis
"Personal Journal"
Crake Pipes

Anticon


(disco-rock-punk: le must!)
Stereo Total "Jukebox Alarm"
Party Anticonformiste

1997


(le maître et sa plus belle chanson), ma préférée du moins
Serge Reggiani
Ma liberté

1967


(j'aime ce type, assez fou pour être poète)
Albin de la Simone
ici avec Delerm et Cherhal
Elle aime

2003



Les films visionnés sans relâche avec pop corn, kleenex ou rhum raisin

(ça a surement un rapport avec mon boulot)
David Cronenberg
Crash

Canada 1996
( le film complet)
Emir Kusturica
Underground

1995
(une certaine vision du romantisme qui me plaisait bien (à une époque))
Lars Von Trier
Breaking the waves

Danemark 1996
(une claque qui fait du bien, et qui justifie un ticket. )
Gaspar Noé
Irréversible

France 2002
(mon film fétichissime)
Sergio Leone
Le bon, la brute et le truand

Espagne, Italie 1968
(superculte)
Isao Takahata
Le tombeau des lucioles

Japon 1996
(la trouille de faire ses courses)
George A. Romero
Dawn of the Dead

USA/Italie 1978
(ses fringues, sa coupe, sa meuf et sa voiture)
Peter Yates
Bullitt>

USA 1969

11.6.06

Dans une maison où il y a un coeur dur, n'y a-t-il pas toujours un vent glacé ?

Un des derniers bouquins.
Mais pas des moindres.


La Maison des Feuilles
Mark Z. Danielewski
chez Denoël, 709 pages/ 29€ (2002)
Traduction de Claro (et c'est du boulot)









L'auteur:

Fils d'un cinéaste d'avant-garde, Mark Z. Danielewski est né à New York en 1966. Après des études à Yale, il est rejeté de tous les séminaires d'écriture auxquels il se présente. Il suit des cours de latin à Berkeley et devient ouvreur dans un cinéma, plombier, serveur, etc. C'est alors qu'il a l'idée de ce premier roman, La Maison des feuilles.

Lire possède comme souvent un avis académique sur un livre qui ne l'est pas:
«Ceci n'est pas pour vous.» Vous êtes prévenus. Dès la première page, Danielewski dévoile sous forme d'épigramme ses intentions. Et de fait La maison des feuilles est un livre-monstre, une œuvre qui a sa place dans la tératologie littéraire. Projet mallarméen d'un livre total; à côté, Finnegans Wake de Joyce semblerait presque limpide. De quoi s'agit-il au juste? D'abord, un objet qui fera les délices des bibliophiles et des graphistes. Typographies et polices de caractères multiples, texte inversé lisible uniquement dans le miroir, poèmes lettristes, braille, florilège de citations: Milton, Sylvia Plath, Derrida, Simone Weil, Virgile, Ezra Pound; Heidegger en V.O., Apollinaire en vietnamien, et le mot «maison» toujours en bleu...

Ne partez pas. Entrez et faites le tour du propriétaire. Il y a bien une histoire, même deux. Johnny Errand, un tatoueur paumé et junkie, découvre le manuscrit d'un certain Zampanò, vieil aveugle reclus, qui s'est intéressé à l'effroyable destin de Navidson et de sa famille. Ce photographe lauréat du Pulitzer fait l'acquisition d'une vieille maison en Virginie. Bientôt il se rend compte qu'elle est plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. On a beau fixer des caméras, on s'y perd.

Commence alors un conte gothique où l'univers de Poe se mêle à une ambiance digne d'un film d'horreur. Pas seulement, on ressent aussi l'illusion d'optique des dessins de Escher et l'onirisme visionnaire d'un William Blake. En même temps que se déroule l'histoire de la maison fantastique, en notes de bas de page et parallèlement se déploie telle une arborescence l'histoire de Johnny dont on découvre les problèmes psychologiques liés à sa mère.

Comment lire deux romans à la fois? Cartésiens s'abstenir, pour pénétrer dans ce livre il est conseillé d'adopter une attitude poétique et intuitive. Etre ludique aussi, car le roman a ses trappes comme autant de niveaux de lecture. Alors La maison des feuilles, œuvre postmoderne? Non, répond celui qui mit dix ans à l'écrire. Autre chose, comme une nouvelle manière de lire, «moins tyrannique».
Ceux qui en parlent le mieux, c'est encore les fondus qui s'y sont frottés... ici Roland Ernould

Voilà un livre comme on n'en lit pas dix dans une vie. À première vue, il accumule les dispositions défavorables à une lecture commode. Son volume (700 pages grand format, inhabituel pour un roman), une mise en page comme on n'en a plus rencontré depuis les recherches graphiques lettristes ou surréalistes, déroutent d'abord le lecteur. On s'immerge dans sa démesure et son délire pendant une douzaine de soirées au moins, temps nécessaire à sa lecture. Un monstre littéraire, un livre qu'on rejette ou qu'on admire, avec le désir de le reprendre dès que pourra, pour un plaisir unique. Chef d'oeuvre, fantaisie ou canular sans lendemain? Aux États-Unis, malgré son prix, le livre est un best-seller. En France, le livre est rendu momentanément indisponible par son succès, l'éditeur est en rupture de stock. Un tel livre ne s'imprime pas en quelques jours, puisqu'il est, en tant qu'objet, une véritable prouesse de l'édition.

Car ce qui fait plus que surprendre le lecteur qui prend ce livre en main, c'est sa mise en page. Qu'on imagine : chaque feuillet présente un assemblage de textes désarticulés, disloqués, de phrases tordues, s'écrivant dans tous les sens, à l'endroit comme à l'envers, avec ou sans marges, des mots serrés, ou peu nombreux, perdus dans une page entière, utilisant des caractères de 5 ou 6, difficiles à lire, ou en 24 ou en 30... D'autres fantaisies : le mot «maison» est imprimé en bleu, des lignes sont barrées quand elles évoquent Dédale,un «%@» et des «XXXXXXXX», des notes de musique, des caractères en braille, un texte lisible dans le miroir se découvrent soudainement. Danielewski mêle les styles et les genres, la prose et la poésie, cite des extraits de magazine, des interviews, de carnet intime, des lettres, propose une avalanche de notes encyclopédiques, bande-dessinée, schémas, chanson, photographies, des listes de documentaristes ou de chefs-d'oeuvre architecturaux. Les citations d'auteurs, authentiques ou fausses, sont nombreuses (Dante, Homère, Virgile, Milton, Bachelard, Apollinaire, Derrida, Simone Weil, Ezra Pound, Marguerite Duras, Stephen King, etc.) Et, par exemple, Heidegger dans le texte : car les citations des auteurs étrangers sont faites en allemand, en espagnol, en latin, en grec. En apparence, l'originalité de l'ouvrage réside dans cette façon de jouer avec la mise en page. Je ne connais pas d'autre roman confectionné de cette façon. Une présentation démente, mais pas gratuite.

Parce que chaque forme du récit renvoie à un contenu, correspondant à la découverte des changements qui s'opèrent dans une maison qu'aurait aimée Lovecraft : le désordre de certaines pages ou les mots perturbants en quinconces correspondent aux hésitations du personnage dans le labyrinthe que devient sa maison; les mots perdus dans les pages blanches apparaissent quand il découvre des salles sans limites... La complexité de la mise en page du livre, qui a dû être un cauchemar pour l'éditeur et l'imprimeur (le traducteur, Claro, dit y avoir passé des semaines), correspond à la fois aux modifications qui s'effectuent dans une maison hantée, et à un roman complexe à tiroirs où plusieurs structures s'enchevêtrent. Le manuscrit, composé de centaines de pages de tous les formats, compliqué d'index et d'appendices, est un essai sur un film (The Navidson Record), réalisé par Will Navidson, un photo reporter qui a remporté le prix Pulitzer, et comprend des compléments de toutes sortes. Plus, en bas de pages, trois niveaux de notes : celles de Zampanô (un vieil homme aveugle qui est présenté comme ayant rédigé le mystérieux manuscrit), celles de Johnny Errand (un junkie, tatoueur de métier qui a découvert le manuscrit à la mort de Zampanô), et celles des éditeurs ou du traducteur... Chacun de ces niveaux est imprimé avec un caractère spécifique. Il y a ainsi deux romans dans le roman : le texte sur le film, auquel se mêlent les réflexions et le journal intime du découvreur du manuscrit, en pleine dérive affective, qui multiplie les aventures sexuelles.

L'histoire:

Reporter qui a décidé de mettre un terme à ses nombreux voyages pour sauver son ménage, Will Navidson a emménagé dans une maison en Virginie, avec sa compagne, Karen, et leurs deux enfants. Il se met à filmer ce qui se passe dans cette maison, qui paraît ordinaire, sans projet défini, jusqu'à ce que le couple découvre une pièce dont ils ne connaissaient pas l'existence. Surpris, Will prend des mesures et constate que la maison est plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Des espaces s'ouvrent dans la maison, et ces ouvertures sont en correspondance avec celles du quotidien de Will, et de ses relations amoureuses. Il manque de se perdre, pense que la maison, qui émet de temps en temps des grondements, cache quelque chose et il engage des spécialistes. Le cauchemar commence, avec l'exploration de ces étranges pièces et couloirs. Le lecteur est égaré par les dispositions du récit, , perdu dans des explications apparemment académiques, fourvoyé dans des jeux de piste déroutants, hanté par un manuscrit qui semble rendre fou, à l'imitation de la dérive mentale du junkie qui met en forme et annote le manuscrit. Le lecteur qui pénètre dans La Maison des feuilles, trouvera la hantise comme compagne garantie et vivra le même désarroi que les personnages du roman : le désordre créé dans un cerveau paranoïaque, qui a peur et sombre peu à peu dans la folie; ou l'angoisse des explorateurs égarés qui cherchent leur chemin dans les dédales de la maison.
Le roman fait inévitablement penser pour son atmosphère à Edgar Poe, pour sa thématique à Jorge Borges, qui voyait dans le labyrinthe l'image de la condition humaine; à James pour l'utilisation du langage et de la réalité verbale. Il rappelle la série sophistiquée Twin Peaks (de David Lynch, 1989-92) pour sa complexité et son étrangeté; et aussi le Projet Blair Witch, pour sa création d'un réel à partir de recherches et de collectes de documents. Il explore de multiples pistes psychologiques, philosophiques, artistiques, et se livre à de multiples variations sur les concepts de perception et de réalité. Au premier degré, le lecteur assiste, impuissant, à une double tragédie : celle du journaliste-cinéaste et celle de celui qui est devenu le prisonnier du manuscrit, comme le lecteur devient le prisonnier du livre. Au second degré, le livre est une métaphore sur l'abondance des informations qui noient la société contemporaine, le déluge des connaissances, la saturation par les données, métaphore aussi de notre civilisation technologique capable de créer une mise à distance de la réalité en créant une réalité virtuelle qui paraît plus consistante que le monde lui-même.

La Maison des feuilles a été un livre culte de la contre-culture sur Internet avant d'être publié avec succès aux USA. Ce curieux livre, inventif, captivant, éprouvant et drôle, d'un jeune auteur de 37 ans qui a mis 12 ans pour écrire un récit où l'écriture et la typographie se transforment sans cesse à l'image de la maison. La mise en page hallucinée n'est pas seulement une trouvaille esthétique, mais un moyen de faire vivre les mots et de créer l'angoisse, par un récit qui va dans tous les sens comme la maison. On avait perdu cette dimension expérimentale matérielle du livre-objet. À condition de ne pas souhaiter que le simple divertissement et de consentir à s'approprier le livre le plus surprenant depuis longtemps, sa lecture se révélera constamment stimulante et exaltante. Pour les amateurs de lecture linéaire et sans complications, mieux vaut suivre les conseils de l'auteur qui, dès la première page, vous prévient : ce livre n'est pas pour vous.




Un communauté Internet donc, qui cherche et farfouille
www.houseofleaves.com

J'essaie, j'avance, puis fort de mes certitudes, de la compréhension du roman qui peut à peut se forme, je suis mis au pied du mur et rebrousse chemin, avant de repartir, avec un oeil et un avis différent. Ce livre est véritablement étonnant...
Une sorte de livre-golgoth, romantoïde et multiforme, où le lecteur se cogne... se fait peur, s'interroge. Une vraie bonne découverte, qui va me tenir quelques semaines!

Animal Collective - Leaf house
Gorillaz - Rock The House
Paper Chase - The House Is Alive And The House Is Hungry
Madness - Our House
Michel Polnareff - Dans la maison vide
Tom Jones and The Cardigans - Burning Down The House
Ginger Ale - Happy house