Un peu fourbus, nous sommes enfin rentrés de vacances. Fatigués autant que lassés, avec l'envie déjà d'une belle rentrée. Mais avant de partir tout zazimuts -car on est souvent complètement zazimut- sur ce qui nous attend, on se doit de faire le point sur les lectures de l'été. C'est en général assez pauvre, ce que l'on peut lire la nuque cassée dans le train, ou les yeux mis clos par trop de soleil, sur le sable breton. Généralement malmenée ces lectures ne sont pas de grand rendez-vous avec un auteur. Difficile en effet, les fesses sur un sac à dos dans une gare où l'acier des freins emplit l'air humide à odeur de sandwich et de cigarettes. En été, il en est de la littérature comme de la cuisine: on allège, on met de la couleur et souvent c'est que de la flotte. Et ouais.
Puis on vous colle dans les doigts Arno Schmidt, comme ça, parce qu'on vous veut du bien. Et là c'est la claque. Parce que c'est vachement bien.
Puis on vous colle dans les doigts Arno Schmidt, comme ça, parce qu'on vous veut du bien. Et là c'est la claque. Parce que c'est vachement bien.
"Scènes de la vie d'un faune"
Auteur Arno Schmidt
Editeur Christian Bourgois
"Arno Schmidt n'a pas en France la place qu'il mérite. Aussi singulier, inventif, hors normes, solitaire et tête de cochon que lui, on trouve peu. Cet Allemand né en 1914 et mort en 1979 a connu au début des années 60 le bonheur de la traduction. Hélas trop irrespectueux, trop novateur pour l'esprit français d'alors, Scènes de la vie d'un faune et La république des savants ne firent guère de ronds dans une eau stagnante. Est-ce aujourd'hui l'heure de le reconnaître parmi les plus grands? Après maintes tracasseries juridiques qui bloquèrent toute initiative pendant des années, les éditions Bourgois purent enfin envisager un programme cohérent de publication avec la traduction des Enfants de Nobodaddy dont Scènes de la vie d'un faune est le premier volet.J'ai beaucoup aimé l'humour piquant, la révolte contre tout, la passion, l'insolence, disons et plus même que les paysages, que les personnages, je crois que c'est l'époque, l'odeur et la couleur de cette période particulière que j'ai adorées. Reste à vous parler du jeu avec les mots, de la ponctuation comme mise en scène visuelle. S'il est vrai que c'est au départ quelques peu déroutant, et que la lecture des premières pages est assez lente, une fois le code intégré, tout devient beaucoup plus rapide, plus vif et surtout visuel. « Il devrait y avoir des livres avec des indications de lecture dans la marge – (on trouve bien dans les partitions des choses comme “allegro” et “furioso” !) – du style : “A cet endroit, prière de fouir dans un tas de feuilles mortes, mouillées et mordorées.” “Emietter du bout des lèvres un petit morceau d’écorce.” “A ne lire que par temps de pluie, appuyé contre un arbre, au bord d’un ruisseau.” “Les vêtements trempés après avoir essuyé une tempête.” “Sur les lieux de mauvais souvenirs.” “En traversant à gué sur de beaux galets.” “Ici, allumer une bougie.” “A lire d’une voix de stentor !” » Ceci est tiré de Pharos ou du pouvoir des poètes, cette scène primitive qui fonde l’oeuvre d’Arno Schmidt, un texte qu’on suppose écrit vers 1943. C'est ainsi que le texte de Schmidt est truffé de signes de ponctuation qui modulent le rythme des phrases. "Le lecteur est invité à voir dans le double point : un visage ouvertement interrogatif, dans le point d'interrogation qui suit, ?, la contorsion d'un corps, dans un : ".":"!" une réponse banalement laconique, suivie d'un hausement d'épaules de l'interlocuteur. Quant à la prenthèse, on est prié d'y reconnaitre la main creuse stylisée derrière laquelle l'auteur chuchote quelque confidence."
Ce roman-journal est de ces mythautobiographies dont il vaut mieux garder le manuscrit hors de portée de tout régime, de tout pouvoir, qu'il soit nazi ou domestique, de guerre ou d'après-guerre, d'Est ou d'Ouest. Par courts fragments successifs, se déroule une personnelle chronique des années de guerre (1939 et 1944). Comme Jean-Paul Richter qui "aimait mieux sauter que marcher", il passe avec une fantaisie débridée, une verve langagière jamais en défaut, du coq à l'âne, de ses affinités littéraires à la satire, pour notre plus grand plaisir. "Ma vie n'est pas un continuum", disait Arno Schmidt. Elle n'est pas non plus unitaire. Sous le masque du fonctionnaire obscur et zélé, le narrateur louvoie habilement pour rester en lui-même indépendant malgré l'oppression des consciences assénée par le Troisième Reich. Retrouvant dans les Landes de Lunebourg la hutte d'un déserteur français des temps napoléoniens, il mène une vie parallèle d'ermite, un peu comme les personnages de Jünger dans Eumeswill et Le recours aux forêts, mais avec plus de simplicité et d'humour. Ou encore quelque chose comme la devise d'Arno Schmidt: "Liberté et insolence". En allemand il n'y a qu'une lettre de différence: "Freiheit und Frecheit."
L'amateur passionné (car comment lire autrement Arno Schmidt) lira trois courts récits récemment publiés par la revue La main de singe, puis une Biographie conjecturale par Dominique Poncet, à paraître aux éditions Comp'act, premier livre français sur cet irréductible indépendant que fut Arno Schmidt."
Thierry Guinhut / La République des Lettres
J'ai tellement aimé que je termine actuellement On a marché sur la Lande.
Liens:
Arno Schmidt Lecteurs et lectures
GASL - Gesellschaft der Arno-Schmidt-Leser
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