15.10.06

Haut les flingues

L'été est définitivement mort et on n'a pas vu naitre l'automne que l'hiver déboule déjà. Alors quitte à se les geler, autant carrément partir vers les pays des glaces et des esquimaux. On revient sur un livre qui a beaucoup plu, "Les Fusils" de William VOLLMANN.

Les Fusils
William T. VOLLMANN
Le Cherche Midi
21€/408 pages

Pour l'histoire, j'en avais déjà parlé
ici

L'auteur: William T. Vollmann est né à Los Angeles en 1959. Il a fait ses études à l'Université Cornell en littérature comparée. En 1982, il a voyagé au coeur de l'Afghanistan avec des commandos islamiques puis a passé quelques années à San Francisco. Il a reçu en 1988 le Whiting Award et le Shiva Naipaul Memorial Award en 1989. « Dès son premier livre traduit, on a su que William T. Vollmann n'était pas un écrivain américain de plus mais une sorte d'Ovni incandescent, de rejeton surdoué issu de la famille des génies sulfureux, les William Burroughs, Thomas Pynchon et autres Hubert Selby Jr. L'homme est fascinant, d'une intelligence rare, insaisissable. » Bruno Corty - Figaro Littéraire Une bibligraphie rapide par ici



1845 : le continent américain a été cartographié à l'est, à l’ouest, au sud. Les explorateurs qui espèrent découvrir le passage du Nord-Ouest ne rencontrent que la glace et la mort. Sir John Franklin tente à son tour l’aventure, avant de disparaître tragiquement avec tout son équipage. Fin du XXe siècle : le capitaine Subzéro, obsédé par la blancheur apocalyptique du Grand Nord et par le destin de Franklin, son alter ego, tente à son tour de percer le secret du monde arctique. Au même moment, William T. Vollmann, désireux d’approcher au plus près l’état d’esprit de ces hommes et ces femmes isolés dans des conditions extrêmes, s’enferme dans une station météo abandonnée au cœur de l’Arctique, au péril de sa vie.
J'en suis à la relecture par petites bouchées apéritives. J'ai fait le tour et, comme j'ai beaucoup aimé, et bien j'ai repris un ticket. Après avoir relu les passages tendres, les paysages d'aquarelle, l'horreur du froid et les dialogues sur la corde sur lesquels s'écrase le silence. J'en arrive à ressentir des frissons lorsque Franklin monte sur le pont, à trouver que les joues de Reepah rosissent de plus en plus quand elle rit, et quand Subzéro propose ses biscuits aux enfants, c'est moi qui époussette les miettes tout en chassant les moustiques.
Mais plus que le mélange des récits, les apparitions fantômatiques des uns et des autres, c'est la montée en puissance de la fatalité, de l'horreur, ce maelstrom qui va venir broyer tous ces hommes et toutes ces envies de liberté dans un décor si grand qu'il réduit tout et tout le monde à l'essence même de ce que nous sommes tous: à savoir pas bezef quand on est contraint à manger nos chaussures.

Il claque ce livre. Il renvoie à ce qui a été -moche-, ce qui est -pas terrible- et donne une idée de ce qui sera - pas brillant-. L'auteur est incroyable: jusque-boutiste, talentueux et poétique à mort. On pense écologie, développement, et droit des armes. On pense aussi aventure façon Agaguk ou Frison Roche. Bref, on ne s'ennuie pas une minute. C'est aéré, riche culturellement et tellement bien écrit que la suite logique est d'aller voir le reste des volets consacrés à la naissance de l'Amérique.
Je vous mets ici un bout d'entretien, où il était question des armes, de leur utilité et du droit constitutionnel lorsqu'il confronté à la responsabilité.
You know, I've had some sad things in my past, and that doesn't mean that I'm not responsible for the decisions that I make. I've been thinking about this a lot because I'm a gun owner, and I'm pretty sure that by the time my little girl is my age, handguns are going to be, in practice, banned in this country. When you look at the issue of guns, there are two visions you can have. One thing you can say is, and this is what I believe, that the second amendment is really wonderful. Unlike in other countries, our country trusts us to have guns. It's in our constitution -- we have the right to defend ourselves against others, or even against our own government if it becomes a bad government, and I think that's amazing and wonderful. If that's the case, if I allowed to have a gun and I ever misuse that gun, then I deserve some serious punishment. If I take my gun and shoot the next door neighbors or rob a bank, I should be put in jail for the rest of my life or maybe killed. That's what I believe.

The other way to look at guns is that we should cut people as much slack as we possibly can and try to be kind, and that if someone makes a mistake, then that person should not be held completely responsible and we should try and help that person and protect him from the consequences of his mistake.








=> des liens:
Un petit morceau d'histoire avec les explorations dans le Nord Canadien ici
La note de Topo avec un entretien de Vollman ici
L'alphabet esquimau ici

6.10.06

Vous reprendrez bien une Wurst ?

Comme tous les ans, les frustrés de la Porte de Versailles peuvent assoiffer leur boulimie de livres grâce aux Teutons. Le plus gros, le plus gras, le plus pointu des rendez-vous commercialo-littéraire est maintenant en direct sur ZDF les enfants, et c’est le Buchmesse de Frankfurt bien sûr!
Pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir le satellite, il reste le streaming pour mater les Schriftsteller sur le canapé bleu…

5.10.06

Un petit prix qui sort du lot

Un prix étonnant, qui avait consacré Mongiève l'an dernier, et qui "cherchant à remettre la littérature au centre par un système tournant, [...] tentera de dissiper une certaine confusion dans l'échelle des valeurs littéraires, et de redonner aux textes de grands écrivains parfois esseulés dans un système ne consacrant que le chiffre, le goût de fruit défendu... Il privilégiera des styles, des écritures, des mots comme on n'en trouve plus que rarement sur le marché des mots."
Le prix Wepler-Fondation La Poste est doté d'une somme de 10 000 euros et d'une somme de 3 000 euros pour la mention spéciale qui récompense "une audace, un excès, une singularité résolument en dehors de toute visée commerciale". Un rêve quoi! En plus, il est composé d'un jury tournant :"des journalistes, des libraires, des lecteurs passionnés venant de tous les horizons, ainsi qu'une détenue de longue peine".

Sélection 2006 :
- Sylvie Aymard, Courir dans les bois sans désemparer, Maurice Nadeau
- Véronique Bergen, Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent, Denoël
- Alain Defossé, Chien de cendres, Panama
- Vincent Delecroix, Ce qui est perdu, Gallimard
- Jean-Hubert Gailliot, Bambi Frankenstein, Editions de l'Olivier
- Pierre Guyotat, Coma, Mercure de France
- Pavel Hak, Trans, Seuil
- Jacques Jouet, l'Amour comme on l'apprend à l'Ecole hôtelière, P.O.L.
- Jean-Louis Magnan, Les îles éparses, Verticales
- Héléna Marienské, Rhésus, P.O.L.
- Michel Schneider, Marilyn dernières séances,Grasset
Cet automne, l'idée de jury tournant paraît alimenter de vives polémiques... Je crains qu'elles ne soient suivies de peu d'effet en raison d'une constellation de privilèges ouvertement assumés auxquels beaucoup ne sont pas près de renoncer. Et on les comprend d'une certaine façon. Mais combien d'auteurs, d'éditeurs sont ainsi délibérément et fatalement écartés de cette fabuleuse dynamique des rentrées littéraires dont les prix sont un des enjeux importants ? Et quelle pénalisation de notre vie intellectuelle ! Et quel discrédit par rapport aux jurys de pays étrangers qui ont des pratiques tout autres et brillantes ! Sur ce plan-là, nous sommes loin d'être l'exception culturelle. Cette idée de jury tournant, minorée parce qu'elle dérange, ne se réduit pourtant pas à un jeu de chaises musicales comme dans ces vieux mariages de province. Elle a une dimension esthétique, politique, éthique. Ayant créé dans un appel d'air le Prix Wepler-Fondation La Poste, dont le fondement est un système de jury tournant, je peux témoigner, après cinq ans, de sa valeur et son excellent fonctionnement. L'engagement désintéressé de lecteurs et de professionnels qui n'envisagent pas une carrière de sociétaire des Lettres - et qui, par miracle, acceptent de laisser leur siège au bout d'un an !- garantit une fraîcheur, une liberté dans la prospection des livres, une sincérité de jugement, et la surprise du résultat. Le renouvellement du jury favorise, d'années en années, un principe évident de liberté et de diversité du goût, et permet d'échapper à la sclérose du groupe qui, sur la durée, comme dans les vieilles familles, finit par attribuer à chacun un rôle.
En remettant la littérature au centre du débat, ce sont de nouveaux livres qui s'imposent, de nouveaux éditeurs, et non pas des jurés peu affranchis d'une logique de réseau.
Ce système de jury tournant n'est finalement qu'une question de volonté, bien sûr. C'est recréer les conditions de l'aventure littéraire. C'est se redonner, une fois encore, la chance de l'Inconnu. Allez Messieurs les jurés, lâchez prise !
Article de Marie-Rose Guarniéri

Contacts :
Librairie des Abbesses
30 rue Yvonne Le Tac
75 018 Paris
01 46 06 84 30

Prix[at]wepler.com

2.10.06

Bang bang, he shot me down

Je viens de commencer. J'ai juste eu le temps de mettre des moufles, de changer les piles de ma torche, de rêver à Poncahontas en après-skis sexy sur un traineau plus de poissons brillants et de replier correctement mon sac de couchage (c'est toujours un supplice que de rouler la chose, en extirper l'air et garder un semblant de plis malgré cette matière glissante et aérée, et qui sent tellement trop moi. Note pour plus tard:"Penser à acheter un sarcophasme, ça a l'air tellement agréable").

Toujours est-il que j'entame la chose. Que je suis déjà ébahi. Que c'est tellement bon que je fais durer. Bref. C'est le pied! (J'ai hésité un What the phoque!!, un peu trop vulgos à mon goût quoi que fort drôle...)

extrait pour toi mec!:

Mais tu n'avais toujours pas retenu ta leçon. Tu pensais savoir t'orienter. Il y avait de la neige partout à présent, une neige légère qui dévoilait la texture caillouteuse du sol comme du poil ras et parsemait la crête de l'autre côté de la rivière d'écaillés blanches. Le ciel était nuageux, bien qu'il y eût encore des taches de bleu, et un vent glacial soufflait. La température était juste au-dessous de zéro. Tu pus traverser la rivière et escalader une des crêtes, et soudain tu te retrouvas sur une plaque ronde et élevée qui s'étendait aussi loin que tu pouvais voir dans toutes les directions, et immédiatement la rivière d'où tu venais et toutes les autres rivières disparurent dans les ondulations indistinctes de cette plaine, et les nuages composèrent une autre plaque, grise au-dessus de ta tête ; mais au sud un bas monticule de gravier se détachait du tapis de gravier, tu marchas dans sa direction et au bout d'un quart d'heure tu l'atteignis. Parce qu'il ne faisait que six mètres de haut (en le voyant pour la première fois tu crus qu'il en faisait trente), tu l'escaladas, et alors soudain tu pus voir des baies d'un bleu suintant au sud et à l'est, des vallées enneigées, des traces de rivière, les falaises bleues d'un cap saupoudré de neige, et au loin des nuages violets ; et ce fut grâce à ce monticule que tu vis ces choses, mais tu étais déconcerté ; ce centre des choses n'était pas ce à quoi tu t'attendais. Rien ne clochait, mais tu étais incapable de te situer. Tout était en dessous de toi et dans la mauvaise direction. Le vent soufflait un air froid qui engourdissait, et un brouillard se mit à sourdre de la plaine et tu vis que si tu restais ici très longtemps tu serais bel et bien perdu, et alors tu pourrais mourir, aussi tu décidas de retourner à ta rivière tant que tu pouvais encore la localiser et tu descendis, dupé, effrayé...