11.11.07

Bataille pour la mémoire du French Punk

Il n'est pas toujours simple de donner une image claire d'un mouvement musical. Il faut envisager le contexte politique, économique ou même sociologique sans trop détériorer le récit qui intéresse vraiment: celui de la musique. Il demeure encore moins évident de raconter avec justesse sans se rouler dans la nostalgie lourdingue du "c'était mieux avant" des évènements forts qui sont constitutifs d'une vraie évolution culturelle majeure. Surtout lorsque ces faits vous sont personnellement arrivés, lorsque vous êtes un témoin clef de l'histoire.

Les anecdotes et récits sur le rock alternatif d'une période grosso modo, s'étalant de 76 à 89, en France, étaient assez peu nombreux ou disons plutôt que ceux qui étaient disponibles et à peu près lisibles étaient souvent à coté de la plaque (trop de détails, ou pas assez, ou alors simplement aussi bordélique autant que l'époque le fût...). Pour une fois qu'on tient des trucs valables, parlons en sans retenue. Rebelles de Rémi Pépin aux d'une part et Nyark Nyark!, fragments des scènes punk et rock alternatif 1976-1989 d'Arno Rudeboy d'autre part... Il va être difficile de vous trouver un vainqueur à ce crash test tant ils sont identiques... tant ils sont différents. Mais ça ne va en rien nous empêcher de les percuter pleine bourre et de compter les points...

1er Round: Rémi Pépin

REBELLES
Rémi Pépin
Editions Hugo Doc

Née des cendres du gauchisme des années 70 et de la révolution punk anglaise, l'aventure du rock alternatif court sur une petite dizaine d'années, de 1978 à 1989. Dans ce véritable vivier de talents multiples, on croise des musiciens qui seront un jour les plus gros vendeurs de l'industrie du disque français (Les Béruriers Noirs, La Mano Negra, les Négresses vertes, les Wampas, Pigalle, Les Garçons bouchers, même les Rita Mitsouko... ) , mais aussi des cinéastes, des peintres, des graphistes, des animateurs de radios libres, des gauchistes sans partis, des apprentis terroristes, des squatteurs sans droits ni titres ; Profitant de la respiration de la société du début des années 80 générée par l'arrivée de la gauche au pouvoir, elle plonge à bras raccourcis dans les brèches du système, monte des fanzines, s'engouffre dans l'aventure des radios libres, investit des immeubles inoccupés des quartiers populaires de l'Est de Paris, crée des structures de distribution parallèle pour faire circuler disques, journaux, idées. Ostensiblement ignorée du grand public et de la presse spécialisée, elle fait vivre sur scène d'abord parisienne et bientôt régionale, au rythme de manifestations de tous ordres : concerts sauvages, performances ; films ou spectacles de rue. Refusant de s'intégrer, rejetant le système, les alternatifs tiennent bon mais sont malgré tout peu à peu confrontés, après plusieurs années de flamboyance, à l'avènement du libéralisme et au retour de la droite au pouvoir. Le mouvement s'essouflera victime du changement des temps autant que de son évolution propre. Ce sera la fin par exemple des Béruriers Noirs avec leur suicide après trois soir dans un Olympia ras la gueule en novembre 89. Après avoir hurlé "Vivre libre ou mourir" durant 6 ans, les Bérus ont préféré mourir…

Vous avez compris, on s'attache ici à faire un descriptif assez large, un recadrage avec le contexte d'alors. Le discours y gagne en clarté: on apprendra des choses bien intéressantes sur la culture sous Tonton dès 81, sur le mouvement des Autonomes, le rôle des squats, les différentes évolutions de tel ou tel label (Bondage surtout, logique)... Vous trouverez la mise en page pas mal du tout, avec beaucoup d'illustrations sympa (flyers, fanzines, LP maisons). Le moins, c'est que justement, on a un point de vue partisan et spécifiquement orienté autour de quelques groupes (Guernica et les Bérus en particuliers), articulé plutôt Paris que Province, du simple fait logique que Rémi Pépin est l'ex bassiste de Guernica. Et que Guernica ne fût pas n'importe quoi, puisque lorsque le groupe splitta, son guitare leader Loran alla collaborer aux Bérus. Pierrot, le batteur de Guernica et frangin de Rémi continua la musique mais en se lançant dans le free jazz... A la même époque Rémi faisait partie du collectif Abattoir, avec Mathieu et Benoit eux aussi ex Guernica, d'une association de peintres et de plasticiens qui gérait une galerie alternative dans le XIIIe arrondissement de Paris dont il parle longuement dans le livre. Pour info fondée aussi avec Valérie, frangine de François co-fondateur des Bérus...
Aujourd'hui, c'est un directeur artistique dans l'édition et la musique. A ce titre il a collaboré avec des musiciens comme Kid Loco (qui vient lui aussi du keuhpon), Laurent Garnier, Julie Bonnie ou Capitaine Kvern... Il a un petit peu lâché le terrain quoi, ce qui est autant compréhensible que logique. Mais voilà, l'idée c'est que dans tout le bouquin, tout se recoupe, et on revient avec ces témoignages particuliers, à parler d'un microcosme, alors que le mouvement étant un peu plus que cela...

2ème round: Arno Rudeboy

NYARK NYARK
Arno Rudeboy
Editions: La Découverte (collection "Zones") & Folklore de la Zone Mondiale

Formez des groupes de rock libres !" : Cet épitaphe du rock alternatif prononcé le soir du 11 novembre 1989 par Bérurier Noir lors de leur dernier concert, résume bien l'énergie, la sincérité et la rage qui ont parcourus la France entre 1976 et 1989.
A tous ceux qui ont vécu à 100 à l'heure cette période et à tous ceux qui n'ont pas pu vivre cette épopée unique en son genre, "Nyark Nyark !" ( célèbre cri de guerre des mêmes Béruriers) propose de rechausser ses docs montantes, de retrousser son jean's, d'épingler ses badges préférés pour se replonger dans ces années effervescentes !
A travers des dizaines d'interviews inédites, de centaines d'images d'archives et un CD bande son originale, Arno Rudeboy (célèbre activiste et guitariste du groupe Bolchoi) retrace en 260 pages l'histoire orale, graphique et sonore des scènes punks et rock alternatif en France, de 1976, date de la naissance de Metal Urbain jusqu'au concert d'adieu des Bérus en 1989. Replongez dans l'explosion contre-culturelle de l'époque : structures, organisations autonomes, radios libres, groupes, fanzines, lieux autogérés, labels... C'est une véritable révolution qui se construisait, allant même jusqu'à inquiéter les hautes sphères de l'état !

Format : 29 x 29cm (format d'un 33t), 260 pages (presque 2 kilos de papier et d'encre !)
Interviews inédites et visuels de, accrochez-vous: Bérurier Noir, Haine Brigade, Ludwig Von 88, Les Kamioners du Suicide, La Souris Déglinguée, Washington Dead Cats, Kochise, Camera Silens, Nuclear Device, Les Rats, OTH, Les Cadavres, Lucrate Milk, Metal Urbain, Parabellum, Oberkampf, Happy Drivers, The Brigades, Laid Thenardier, Babylon Fighters, Les Thugs, Les Olivensteins, New Wave, Rock à l'usine, Kronchtadt tapes, Bondage, Gougnaf Mouvement, Géant Vert, Dau Al Set, Panik, Rock Radicals Records, 13° Section, Patrick Woindrich, F.M.R., On a faim!, Los Carayos, Les Barrocks, Neurones en Folie, Mano negra, Kochise, Red Warriors... Roland Cros, Laul, Mattt Konture, Tapage et Chatterton interviennent ici et là, apportant leurs regards sur cette époque.
Le premier tirage comprend une compilation CD exclusive 17 titres (parfois inédits et/ou lives) : Metal Urbain, Panik, Ludwig Von 88, The Brigades, Babylon Fighters, Camera Silens, Washington Dead Cats, Nuclear Device, Haine Brigade, les Cadavres, Kochise, Happy Drivers, les Thugs, les Kamioners du Suicide, Neurones en folie, Laid Thenardier, Bérurier Noir.

Vous l'avez compris, on a changé d'idée: on va du particulier, de l'amoncèlement de références -quitte à être taxé d'encyclopédique-, pour définir un cadre général et non l'inverse... Et la force d'un tel ouvrage est justement de rendre la part belle au mouvement tel qu'il fut, à savoir un peu brouillon quand même, sans cesse en quête de renouveau et pas mal éclaté géographiquement autant que politiquement ou même stylistiquement si jamais ce mot existe. On a en plus de la musique, avec un CD bien foutu, chose à mon sens indispensable si on veut parler correctement de son sujet. On peut taxer l'ouvrage de copier coller d'interview et de n'être qu'un patchwork de la scène rock alterno, mais c'est logiquement comme cela que c'est à mon avis le plus intelligent d'aborder le sujet. On grignote les couvertures de fanzines, on lit les critiques de disques ou les interviews des groupes, façon puzzle ou buffet froid. Et c'est carrément sympa de se perdre dans les méandres de toutes ces références. Puis Arno Rudeboy, c'est
un musicien, mais aussi un militant, toujours chanteur dans le groupe Skawar (ska), encore guitariste de Division d’honneur (punk rock), lui qui a réalisé ses plus gros faits d'armes en temps que guitariste de Bolchoï. Bref, on parle du temps d'avant sans cette nostalgie lourde , car on y est encore un peu, même si le cadre n'est plus même...

Conclusion.

Moi, mon choix est fait. J'ai lu les deux, en commençant par celui de Pépin. Je laisse le lecteur faire le sien, entre le global-général-arty pour faire joli de Rémi Pépin qui vous refait la géographie de Ménilmontant, Pali Kao et la rue des Cascades pour ceux qui n'y connaissaient rien (comme moi par exemple)... Ou le bordélique fouillis compulsé à la photocopieuse de
Arno Rudeboy, qui après publication de son bouquin, n'a rien trouvé de mieux que de le laisser en libre accès sur le net, ici http://nyarknyark.fr/...

punk un jour, punk toujours....



PS: Y a des petits bouts de polémiques rigolos entre tout ces punks qui se tirent un peu la bourre pour publier tout cela, 25 après les faits. Vous lirez que les illustrations de Pépins sont d'après ce que j'ai compris assez régulièrement pompées sur des sites gratos parce que libertaires, que certains faits sont revus différemment qu'on soit un keupon du Luxembourg ou de la Fontaine des Innocents, et que certains gars de Province on l'impression que Pépin les a un peu oubliés...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

"C'est carr�ment sympa de se perdre dans les m�andres de toutes ces r�f�rences..." Ouep ! Moi, �a me donne le vertige !!! Salut Dash, �a roule ?!

Anonyme a dit…

Au fait, tu n'as pas répondu à ma dernière question. Je ne me moquais de personne. J'ai bien aimé le fight entre le Capitaine América et le Hérisson ! Et puis je me suis demandée que devait lire selon toi une "working girl"... à la place du Hérisson. Qu'est ce que tu t'attends à voir lire chez une jeune femme comme l'amie dont tu parles ? Saludos amigo. Montsé

Anonyme a dit…

Dis-moi Dash, tu ne visites jamais ton propre blog, t'as la flemme de répondre aux questions ou bien il y a un p'tit blem qui m'échappe ? Salut à toi, Montsé

Dashgami a dit…

Pour revenir au truc: je te promets que c'est agréable de se faire balotter de concert en maison de disque bidon, de groupe fantome en anecdotes insignifiantes... personne de l'époque ne garde un souvenir clair ni ne détient de vérité. Là t'as un morceau de vrai témoignage d'un presque pote... c'est agréable, l'intimité, même si on n'est subjectif à mort...

J'ai bien compris que tu ne te moquais pas. Pour la working girl, on va dire (c'est bourré de clichés, hein? ok...) des trucs genre Nicole Krauss, Lucia Etxebarria ou le dernier Marisha Pessl pour le coté girly... Alaa El Aswany, Vladimir Bartol ou Orhan Pamuk pour l'exotisme, et puis tu rajoutes des classqiues cools, style Ajar, Heiss ou Arno Schmidt ...

Quant aux messages, ouais, j'ai une grosse flemme...
;-)

Anonyme a dit…

Mon dieu, mais de quelle planète je sors ! Je ne connais aucun de ces noms, enfin, du moins, Je n'ai rien lu de ces auteurs. Aïe, aïe.

Là, je me lance à l'assaut de Palahniuk "Monstres Invisibles", Bret Easton Ellis "Glamorama", D Coupland "Toutes les familles sont psychotiques" et J Harrison "Dalva". Juste pour savoir ce que c'est. Tu comprends, mon ignorance me rend... complètement enragée !!! Mais je prends note de ces noms, quand même, puisque tu t'en donnes la peine... espèce de pantouflard !

En tout cas, bonne continuation. Ton blog est sympa, je le visite et même si je n'écris rien, je lis tes billets ; j'aime ton côté "je ne me prends pas au sérieux !" M

Dashgami a dit…

Moi non plus je ne connaissais pas ces auteurs... Il a fallu que je cherche sur le site de la keufna pour te les donner. J'avais lu Alamut et point barre. Krauss, je connaissais par son mec, Safran Foer et puis c'est tout. Mais regarde les bouquins, ils te diront qqchose: c'est la came typique de Flu.

Tu te mets toi aussi aux lectures "coups de poing"? Ellis et Palahniuk... ben bon courage, moi j'ai essayé et laché l'affaire avant de comprendre que ça ne me convenait pas, un point c'est toi... Coupland c'est autre chose: pour moi il est largement au dessus, comme Danielewsky ou presque comme Vollmann... Bref, bon courage!!Et merci pour tes remarques. On doit etre deux à le lire le truc tu sais... Moi je m'en sers surtout pour compiler mes fiches de lectures...

Anonyme a dit…

Je ne connais pas encore les lectures "coup de poing". Je n'aimerai peut-être pas, pour le savoir, il faut que j'en fasse l'expérience ! Il y a des chances pour que ce ne soit pas mon truc. Ce que je reproche aux chroniqueurs de Flu -ce n'est pas réellement un repproche mais plutôt un regret- c'est qu'ils ont tous la même approche ou le même ressenti avec la littérature. Finalement, on nous propose souvent le même type de roman, les analyses vont le plus souvent dans le même sens avec les mêmes références bonnes ou mauvaises.

Je constate que les hommes et les femmes ne vivent pas la littérature de la même façon : Pour les hommes, il n'y a que le sang de vrai -je généralise-, il faut que ça cogne, que ça choque, que ça fasse mal, un peu comme si la "violence" était la seule façon crédible d'exprimer des idées. Ensuite les femmes, bien entendu, avec leur sensibilité à fleur de peau croient aux larmes que celles-ci soient gais ou amères ; des idées, des émotions crédibles sont exprimées avec une forme de violence intérieure, avec plus de retenue et de tact. Voila mon sentiment. Ciao bello !