11.5.05

Cours, Forrest !!!

François Bégaudeau - Dans la diagonale Éditions Verticales - 216p, 17€ - 2005




Si le titre n’avait pas déjà été utilisé, peut-être François Bégaudeau aurait pu appeler son second roman L’esquive, tant il y érige en art de vivre la tangente, la bifurcation, le « Sideways » pour reprendre une fois encore le titre d’un film récent. L’art de filer en diagonale qui nécessite pour le narrateur trentenaire tendance asocial maladif et peureux une vigilance de tous les instants. Pour s'échauffer, Bégaudeau décrit au début du livre l’attitude sans cesse à l’affût « tête haute buste droit » permettant d ‘anticiper et de fuir toute rencontre inopportune avec des fantômes du passé (je vous ai mis le passage en extrait... je suis sympa. Ca m'a rappelé le RER et Aurélie, mais ceci ne vous intéresse pas...) Une conduite qui fait ses preuves jusqu’à la rencontre inévitable avec Jacques un ami de lycée avec lequel « on ne s’en sortirait pas avec une petite oblique routinière ». Tu m'étonnes... Celui-ci l’invite à passer un week-end à la campagne pour fêter le premier anniversaire de son mariage.

Le narrateur muet bien malgré lui n’a guère le choix et se met au bord de la route pour se rendre quelque part en Touraine. Ce trajet en stop où se dessine une architecture géométrique des bretelles, des autoroutes, des panneaux de signalisation est une succession de rencontres avec des chauffeurs en quête de sens à la destination hasardeuse dont le voyageur écoute les longs monologues de plaintes, de désillusions ou d’échecs. Chaque petit bout de ce périple se termine par « Je ne vais nulle part, mais ce n’est pas par là » de la part du conducteur et le « C’est parfait » du passager. Lequel finit par arriver dans le village de Jacques qui le récupère et l’amène à sa maison, où quelques invités sont déjà arrivés. Cette partie est dosée juste. Au moment où le procédé commence à peser, le narrateur arrive a destination.

Dans la partie la plus importante – et sans doute un poil trop longue - du livre, Bégaudeau met en scène une dizaine de personnages dont il dissèque avec cruauté et ironie le vide des propos et des relations. Parmi ceux-ci, Jean Billard philosophe pérorant et coutumier de fumeux aphorismes, la grosse Chantal dont le but ultime est de « se faire niquer », Marie et Martin un couple d’enseignants aux échanges balisés de « entre guillemets » et « on va dire », Joe qui connaît vraiment beaucoup de monde «et souvent tous des huitres», un collègue de Jacques venu du Sud-Ouest bon rugbyman à l’accent cassoulet. Sous fond d’actualité dans le poste – la guerre contre l’Irak copieusement commentée par la fine équipe -, la soirée s’écoule de l’apéritif au repas dans une ambiance terne et convenue qui, alcool et ennui aidant, va virer au délire le plus total dans la dernière partie du livre.


L’auteur de Jouer juste, sorti en 2003, pose ici un roman étrange et déconcertant, parfois agaçant à cause de quelques longueurs, souvent très drôle et franchement acide. Le livre en quatre parties est écrit dans un style parfois télégraphique qui multiplie les répétitions, alterne dialogues et narration et se développe en un final assez barré.

On ne voit pas le narrateur, on est simplement dans ses chaussures. (façon de parler, il les cherche tout le roman). On ignore son nom, seulement affublé d’un « Teddy » par un des convives, aussi effacé et passif, incapable du « je », préférant un « ici » de situation. Cette distanciation, cette volonté de ne pas s’impliquer procurent à Dans la diagonale une atmosphère singulière et prenante: un véritable observatoire des relations merdiques. La lecture des dernières pages où se mêlent quelques invités et un tas de bizarres offre ainsi une réelle échappatoire à un narrateur de pouvoir prendre définitivement la tangente.

Un vrai bon livre qui sorti en février m'avait échappé. Merci Patrick Braganti de Benzine magazine http://www.benzinemag.net/

Va sur le site jeune punk.
http://www.editions-verticales.com/

Extrait:
« L’inertie a mille visages, manteau mature cheveux bouclés polo moulant, et alors quoi faire sinon obtempérer quand ils ouvrent des bras de pieuvre ? Les coins de rue sont des pièges. Il faut ralentir à l’approche puis s’écarter de l’angle saillant au prix d’une courbe qui en polit la pointe prête à couper l’élan, puis à nouveau tête droite buste haut c’est loin devant qu’on porte le regard, à hauteur des visages parmi quoi il s’agit de repérer la connaissance vieille. À son insu. Impérativement à son insu. Une fraction de regard réciproque et c’en est fini, c’en est triste, c’en est foutu. C’est prévenir qu’il faut. Que la rencontre n’ait seulement pas lieu, que l’autre ne voie rien ou alors trop tard, après seulement qu’un coup de rein doublé d’une accélération rectiligne m’a fait fondre sur lui, si bien qu’il me perçoit mais déjà s’enrhume du courant d’air qu’à sa portée je crée, absorbé dans d’impérieuses pensées, regard requis par l’horizon, l’esprit tout à la mission bienfaitrice qui m’appelle en haut de la rue mais. Mais, stupéfiante abnégation dans la lourdeur, certains vous interceptent ou vous rattrapent, jambes tentaculaires à leur cou c’est marrant comme ça fait drôle disent-ils vous ayant agrippé. C’est pourquoi à la fuite en avant je préfère la déviation intangible, l’écartement subtil, l’indistincte digression, ni vu ni connu bifurquer, sans éclat s’excepter de l’ordre de marche, tête haute buste droit j’aperçois le passé au-devant et zip je tords ma trajectoire en une oblique subreptice qui me mène à la chaussée traversée dans l’axe de l’impulsion biaise, débonnaire comme si cette ligne permettait seule de rallier le trottoir opposé où maintenant me voici à l’abri, et d’où je peux, souverain, risquer une volte-face pour observer le dinosaure au bout de l’oblique inverse. »

Alors, ça transpire hein? François Bégaudeau a l’imagination débridée, l’écriture moderne et inventive, bref c'est clairement un écrivain à suivre. Mais pour ça, il faut des Nike Airmax, sinon on reste sur le carreau...

A vos marque pages, prêts... lisez!!!

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