23.5.05

Ne pas vendre la peau de l'URSS avant d'avoir tué...

"Ce bon Staline" de Victor EROFEEV, chez Albin Michel, 396 pages /22 Euros
Traduit du russe par Antoinette Roubichou-Stretz


Une biographie romanesque, un roman historique, les confessions d'un fils à son père ou une autopsie de la Russie communiste... autant d'étiquettes possibles pour cet épais livre au doux parfum moscovite.

L'auteur:

Fils d'un diplomate de haut rang, Victor Erofeev passe une partie de son enfance à l'étranger. Il obtient son diplôme de la faculté de Philologie de l'Université d'Etat de Moscou, avant de faire, en 1973, ses débuts comme spécialiste de la littérature dans le magazine 'Woprosy Literatury'. Censuré par les soviétiques jusqu'en 1989, il devient l'une des figures les plus controversées de la littérature russe underground avant d'incarner, par son ton provocateur et son ironie incisive, la nouvelle génération d'écrivains de la Perestroïka. Son premier roman, 'La Belle de Moscou', a été traduit en quinze langues et salué comme un véritable événement de la fiction post-moderne.

L'histoire:

En 1979, à Moscou, Victor Erofeev participe avec plusieurs autres jeunes dissidents à la publication d'un almanach underground, 'Metropol', qui fait scandale. Son père Vladimir, prôche du Kremlin, 'un type qui flottait dans la vie comme un papillon' en ces temps de régime dur et dangeureux, reçoit, alors qu'il est ambassadeur auprès de l'ONU à Vienne, un ultimatum des Soviétiques : s'il n'obtient pas le mea culpa de son fils, sa carrière sera brisée. Alors l'enjeu dépasse le chantage ou la fusion père/fils: l'un servant le régime depuis toujours pour ses idées, par utopie... l'autre, produit de la nouvelle génération, ne pouvant que dénoncer l'échec d'un totalitarisme aveugle et stérilisant. Le choix n'existe pas, seul l'honneur ou le detin, appellez ça comme vous voulez, pousse à l'unique décision possible: le père encourage son fils à ne pas céder. Aujourd'hui, Victor Erofeev rend hommage à ce père qu'il s'accuse d'avoir "politiquement tué". Il retrace l'itinéraire d'un homme qui a longtemps cru sincèrement au communisme. Et, ce faisant, il conte sur le mode caustique sa propre enfance, dans un milieu privilégié.

Mon avis

Je suis de ceux qui préfèrent lire les romans que les manuels d'histoire. Les évèments, leurs enchainements et conséquences débitées dans un style factuel et linéaire m'ennuient. Pourtant, des romans comme celui-ci, qui a le talent de commencer par la fin en flinguant le suspens d'un énorme 'J’ai finalement tué mon père' à la première ligne, qui réussit à dessiner l'atmosphère d'une époque, à partir d'un contexte familial et politique, ainsi que l'absurdité de ce régime ou l'amour que les gens lui portaient, un romans comme celui-ci, disais-je, mérite plus que mon attention. Il mérite une lecture attentive.

Des dialogues soignés, des flash-backs où on se perd dans les anachronismes, une sucession de noms d'auteurs, de rencontres... On ne peut rester indifférent à ce témoignage. Car c'est avant tout celà que je retiens de ce livre: un portrait personnel, un hommage à un père, le tout mélé dans un décor fort et assez absurde pour y coller par ci par là une pointe d'ironie. Un écrivain qui tente une autobiographie, sans tomber dans les écueils déjà essuiés par ses illustres prédécesseurs: "Pourquoi les écrivains écrivent-ils leurs biographies ? Gorki dévide des kilomètres de dialogue, dont la vraisemblance se mesure à l'aune du mensonge. Quant aux souvenirs de Nabokov, ils sont d'une autosatisfaction écœurante. On y trouve même la vulgarité à laquelle il a déclaré la guerre".

Dans cet ouvrage, on est loin de la critique acide des débuts de l'auteur, de la force du sordide dont débordait Irina dans La Belle de Moscou, cette putain perdue qui posait nue mais rêvait d'une vie familiale exemplaire, elle qui n'était pas plus pourrie que les autres, bien au contraire. Le ton ici est bien plus doux, plus nostagilque. Un retour sur des années difficiles, entre l'exil toujours refusé pour donner de la force au combat, la peur du kidnapping ou de l'internement et le poids de la responsabilité du suicide politique de son père...

Et finalement, c'est aussi et surtout un bouclage de la boucle. La conclusion assez sévère de la fin d'une époque qui laisse perplexe: "La Russie retombera automatiquement dans l'autoritarisme, quel que soit le scénario idéologique. Le pouvoir, redoutant sa défaite, prend comme arme la peur généralisée qu'il inspire. Cette peur constitue l'unique ciment de la nation."

Longue vie à Pountine...

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