2.6.05

L'appel du Grand Nord

La Poétique de l'égorgeur, de Philippe SEGUR , chez Buchet Chastel, 238p/16€



L'auteur:

Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Perpignan, Philippe Ségur a déjà publié 'Métaphysique du chien' pour lequel il a reçu en 2002 le Prix Renaudot des Lycéens ainsi que le Prix Edmée de La Rochefoucauld en 2003 pour le même roman. Il a aussi sorti 'Autoportrait à l'ouvre-boîte' en 2003.

L'histoire:

Nils Immarskjöld Dugay, universitaire, mène une vie tranquille. Le soir, il raconte des histoires à ses filles pour les endormir. Mais à travers ces récits, il traduit ses angoisses. L'univers entier l'inquiète et cette terreur se manifeste sous le personnage de Yagudin, un criminel maléfique qui épouvante les foules en ravissant les épouses et en éliminant les enfants. Un jour, pourtant, Nid va être débordé par le produit de son imagination: Yagudin, apparaît dans sa vie et entreprend de la saborder.

Mon avis:
Philippe Ségur est Nils Immarskjöld Dugay, aka N.I.D., un universitaire plein d’imagination, à en déborder du cadre de sa petite vie conformiste de français du sud ouest. Tellement de choses à dire et à vivre que le costume trop petit de professeur de droit va véritablement exploser. Donc roman auto-biographico-fictif à vertu sinon cathartique, disons tout au moins ‘sportive’, pour le dépassement de soi, ou l’amour du geste pourrait-on dire, si on voulait dire des conneries.

Si Philippe Ségur arrive à éviter la frustration par l’écriture, son héros, lui, peine profondément.
Noyé dans une habitude qui le conforte et l’adoucit, cet homme fuit devant l’inattendu ou le non planifié. Il se protège en s’enfonçant encore plus dans la pâleur du devoir de professeur, jusqu’à se pousser vers l’excellence, dans l’unique but d’être soulagé des tracas qu’imposeraient l’à peu près ou le moyen. NID est brillant, il réussit tout, mais sans joie ni enthousiasme. Professeur vénéré, il scrute les amphis à la recherche des ‘bactéries’ poseuses de questions, individus nuisibles qui pourraient émerger de la lourde masse des ‘amibes’ qu’il amène au diplôme, comme on amène un cheval à l’abattoir : sans haine, mais sans espoir non plus.

Mais, malgré l’écrasante tristesse raisonnable qui l’assomme, au fond de ce caractère pétri d’envies, se loge un doux rêve : celui d’écrire. D’écrire comme on vit, quand on a du courage, c’est à dire dans la grandeur, la passion ou l’échec, ce que l’on veut, mais avec du sang, du combat et de l’audace. Il rêve d’épopée, de chevalerie, d'adultère ou de fierté scandinave. Et c’est cela qu’il ressort à ses filles le soir, pour les endormir mis en forme sous les traits d'un conte noir, une légende nordique, dure mais pure, sur un assassin qui se nourrit de vengeance, un nommé YAGUDIN…

Et tout s’équilibre tant bien que mal, entre l’impossibilité d’écrire, les contes qu'il invente, et la paix du conformisme que confère son poste à Toulouse. Grâce à ses histoires, N.I.D. extériorise ses craintes, ses angoisses secrètes le soir dans l’intimité de la chambre à coucher d’Emeline et Marnie, respectivement 4 et 9 ans. Jusqu’au jour où son imaginaire le rattrape et où Yagudin le menace lui et sa famille. Réel ou irréel, début de paranoïa ou intrusion du fantastique dans la vie morne de N.I.D. descendant des plus grands guerriers de Norvège, trop morne pour ne pas éveiller la colère les Dieux Scandinaves. En quelques jours à peine, il va tout perdre.

Ce roman est véritablement mon coup de cœur de la semaine. Un style propre et vif, des personnages attachants de tendresse. La monté en puissance de l’intrigue, la vitesse des catastrophes de la descente aux enfers de ce monsieur tout le monde, tout cela est magnifiquement orchestré. La fin est haletante et la pirouette de conclusion vous clouera sur place. Ce livre, aux antipodes d’une SF merdique, est un vrai bon cliché actuel sur les envies, les besoins de tous dans un décor stérilisant et difficilement ouvert aux passions. Un argumentaire limpide à cet adage : pour autant que l’on est intelligent et bien assis dans la vie, on n’en est pas moins sûr d’être heureux.

A moins, bien sûr, d'arriver à tuer son Yagudin...

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